Antananarivo : à la découverte de la récitation des enfants mendiants

Article : Antananarivo : à la découverte de la récitation des enfants mendiants
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4 juillet 2017

Antananarivo : à la découverte de la récitation des enfants mendiants

J’ai remarqué que depuis deux ou trois ans, une nouvelle pratique s’est installée dans la Capitale de Madagascar. Les enfants mendiants, qui n’auraient même pas osé s’approcher des transports publics auparavant, montent aujourd’hui dans les bus. Ils ne vous demandent pas sèchement de leur donner de l’argent, non ! Ils font des récitations.

La récitation dans les bus

Dans la Capitale de Madagascar, si auparavant les mendiants se contentaient de quémander dans les rues, cela ne leur suffit plus aujourd’hui. Les enfants mendiants ont adopté une nouvelle stratégie pour le moins drôle mais pas toujours plaisante : faire des récitations dans les bus. La première fois, cela a été un choc pour moi. Je venais de monter dans le bus, à 67 hectares – un quartier à l’Ouest du centre-ville. Il était environ 17 heures et le bus n’était pas encore plein. Il n’y avait pas d’autoradio. En revanche, une petite voix aiguë bizarre a commencé à faire une récitation. Je me suis retournée, et j’ai vu un garçon dont les habits étaient de couleur indéfinissable (entre le gris, le marron et le noir). Il était pieds nus, le capuchon sur la tête, les mains derrière le dos. Il faisait le va-et-vient entre la première et la dernière rangée du bus en récitant un texte. Parmi les paroles :

 

« Manao ahoana daholo ‘nareeeeeo                               (Bonjour à touuuuuuuuuuuus)

Za ‘zany dia hanao tsianjery kely ho anareeeeeeo        (Je vais faire une petite récitation pour

                                                                                                                  vouuuuuuuuuuuus)

Jaomampianina o Jaomampianina                                      (En allusion au Président de la

                                                                                               République Hery Rajaonarimampianina)

Ny vahoaka aty efa tsy mihinan-kanina                              (Le peuple ne mange plus)

Aza variana amin’ny Madame Voahangy                         (Ne soyez pas diverti par Madame

                                                                                         Voahangy (en allusion à la Première Dame)

Sao dia avy eo dia mampamangy […]                               (Vous pourriez tout perdre) […]

Sa ve ataoko amin’ny teny malagasy ?                             (Dois-je le formuler en malagasy?)

“Mba omeo vola aho azafady”                                          (“Donnez-moi de l’argent”)

Sa ve ataoko amin’ny teny faran’ny tsy hay(1)?              (Dois-je le formuler en français?)

“Donnez-moi de l’argent”…                                               (“Donnez-moi de l’argent”)

Sa ve ataoko amin’ny teny sinoa                                       (Dois-je le formuler en chinois?)

(Un truc genre di-din-don-di-din-don)(2)»                     (Un truc genre di-din-don-di-din-don) 

La récitation de la réalité

L’Akamasoa, village construit par le Père Pédro, accueille les personnes les plus démunies à Madagascar. Il compte actuellement plus de 25 000 habitants © Tiasy

Ce qui m’a le plus marqué, et qui a aussi marqué tous les voyageurs qui avaient écouté, ce fut entre autres les rimes de la récitation, qui n’étaient, il faut le dire, pas mal du tout. Mais surtout, ce fut les paroles et l’intelligence avec lesquelles l’enfant a exprimé les réalités à Madagascar. Des dirigeants égoïstes, une pauvreté croissante, une population qui vit dans la misère, et même une population multilingue. Car les malagasy, à part leur langue natale, parlent le français, l’anglais, le chinois, l’allemand, l’espagnol… des langues pas forcément toutes maîtrisées mais quand même utilisées. Le « vary amin’anana »(3) étant généralisé dans la vie quotidienne des malagasy. Ces récitations varient, et je l’ai remarqué, en fonction de la saison et de la période de l’année. Au mois de novembre 2016, les enfants mendiants y avaient intégré des lignes sur la Francophonie (4). Au mois de décembre, ils faisaient des récitations sur les difficultés des familles malagasy à fêter Noël, faute d’argent. Des récitations qui sont apprises par cœur. J’ai appris d’un ami que ces enfants apprennent ces récitations chez un tuteur qui se voue exclusivement à inventer et apprendre des récitations à ces mendiants.

Enfants mendiants : un véritable réseau

Ces enfants mendiants sont localisés un peu partout dans la Capitale. Vous ne pourrez pas les rater si vous prenez le bus, notamment ceux du centre-ville. C’est un véritable réseau ! Ils opèrent notamment quand les bus ne sont pas pleins. Ils montent, vous disent « bonjour » et commencent à réciter pendant environ une minute. Puis ils se taisent et tendent leur main en passant près de chaque voyageur. Si certains détournent leur regard et crachent par la fenêtre pour illustrer leur dégoût, d’autres leur donnent de l’argent et parfois, émettent leurs appréciations par rapport à la récitation. Parfois, les receveurs de bus les reconnaissent et leur demandent de descendre dès qu’ils montent le marchepied. Ce qui est un peu triste pour l’enfant… malheureusement, malgré la bonne – ou mauvaise – intention de ces enfants, les bus ne sont pas faits pour mendier. Et encore moins pour faire des récitations…

 

 

(1) « faran’ny tsy hay » : argot des malagasy pour dire « frantsay » qui signifie « français »
(2) Les mendiants parlent en chinois dans leur récitation mais je n’ai pas compris ce qu’ils disaient réellement. Ça ressemblait à « di-din-don »
(3)« vary amin’anana » : littéralement, c’est un plat typique malagasy qui mélange riz et « anana », sorte de salade malagasy utilisé pour les plats de résistance. Mais au sens figuré, parler « vary amin’anana » signifie mélanger des mots issus de langues différentes : malagasy, français, anglais, espagnol, etc
(4) Sommet de la Francophonie : le XVIème Sommet de la Francophonie a eu lieu en Novembre 2016 à Madagascar, dans la Capitale, à Antananarivo. Le Gouvernement a réorganisé la Capitale pour l’occasion. Les avis ont divergé, mais la majorité de la population a émis des critiques par rapport à la volonté du Gouvernement de réorganiser la Capitale durant la Francophonie mais aucune volonté pour lutter contre la pauvreté.
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Commentaires

Soucaneau Gabriel
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j'ai vécu une expérience similaire en Haiti. Ce fut un choc pour moi aussi. Mais sérieusement nos gouvernements doivent prendre des décisions pour retirer les enfants dans les rues. Je ne veux pas croire qu'ils quémandent par pur plaisir. Les enfants sont l'avenir du monde.

tiasyraconte
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Je pense que le Gouvernement ne veut tout simplement pas faire du retrait des mendiants des rues une priorité... ce qui est tres triste.

Miora
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Je viens de decouvrir ton blog et tous tes billets m'ont touchés... celui ci en particulier, je n'en ai jamais rencontré qui font des poemes,... mais tous ces enfant mendiants qui n'ont rien demande a personne, sur qui leur parent ou parfois meme toute une communaute d'autres mendiants (biens adultes ceux la) se reposent, et qui grandissent dans ce contexte sans aucune perspective... cela m'attriste, cela m'ecoeure... tu as totalement raison, il ne faut pas rentrer dans les rangs! Continue et eveille nos consciences pour que l'on change les choses!

tiasyraconte
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merci infiniment de vos encouragements! :) oui c'est ecoeurant.d'ailleurs je n'arrive pas à imagine comment ces mendiants vivront dans quelques années.d'autant qu'ils se multiplient de jour en jour...