Antananarivo : à la découverte de la récitation des enfants mendiants
J’ai remarqué que depuis deux ou trois ans, une nouvelle pratique s’est installée dans la Capitale de Madagascar. Les enfants mendiants, qui n’auraient même pas osé s’approcher des transports publics auparavant, montent aujourd’hui dans les bus. Ils ne vous demandent pas sèchement de leur donner de l’argent, non ! Ils font des récitations.
La récitation dans les bus
Dans la Capitale de Madagascar, si auparavant les mendiants se contentaient de quémander dans les rues, cela ne leur suffit plus aujourd’hui. Les enfants mendiants ont adopté une nouvelle stratégie pour le moins drôle mais pas toujours plaisante : faire des récitations dans les bus. La première fois, cela a été un choc pour moi. Je venais de monter dans le bus, à 67 hectares – un quartier à l’Ouest du centre-ville. Il était environ 17 heures et le bus n’était pas encore plein. Il n’y avait pas d’autoradio. En revanche, une petite voix aiguë bizarre a commencé à faire une récitation. Je me suis retournée, et j’ai vu un garçon dont les habits étaient de couleur indéfinissable (entre le gris, le marron et le noir). Il était pieds nus, le capuchon sur la tête, les mains derrière le dos. Il faisait le va-et-vient entre la première et la dernière rangée du bus en récitant un texte. Parmi les paroles :
« Manao ahoana daholo ‘nareeeeeo (Bonjour à touuuuuuuuuuuus)
Za ‘zany dia hanao tsianjery kely ho anareeeeeeo (Je vais faire une petite récitation pour
vouuuuuuuuuuuus)
Jaomampianina o Jaomampianina (En allusion au Président de la
République Hery Rajaonarimampianina)
Ny vahoaka aty efa tsy mihinan-kanina (Le peuple ne mange plus)
Aza variana amin’ny Madame Voahangy (Ne soyez pas diverti par Madame
Voahangy (en allusion à la Première Dame)
Sao dia avy eo dia mampamangy […] (Vous pourriez tout perdre) […]
Sa ve ataoko amin’ny teny malagasy ? (Dois-je le formuler en malagasy?)
“Mba omeo vola aho azafady” (“Donnez-moi de l’argent”)
Sa ve ataoko amin’ny teny faran’ny tsy hay(1)? (Dois-je le formuler en français?)
“Donnez-moi de l’argent”… (“Donnez-moi de l’argent”)
Sa ve ataoko amin’ny teny sinoa (Dois-je le formuler en chinois?)
(Un truc genre di-din-don-di-din-don)(2)» (Un truc genre di-din-don-di-din-don)
La récitation de la réalité
Ce qui m’a le plus marqué, et qui a aussi marqué tous les voyageurs qui avaient écouté, ce fut entre autres les rimes de la récitation, qui n’étaient, il faut le dire, pas mal du tout. Mais surtout, ce fut les paroles et l’intelligence avec lesquelles l’enfant a exprimé les réalités à Madagascar. Des dirigeants égoïstes, une pauvreté croissante, une population qui vit dans la misère, et même une population multilingue. Car les malagasy, à part leur langue natale, parlent le français, l’anglais, le chinois, l’allemand, l’espagnol… des langues pas forcément toutes maîtrisées mais quand même utilisées. Le « vary amin’anana »(3) étant généralisé dans la vie quotidienne des malagasy. Ces récitations varient, et je l’ai remarqué, en fonction de la saison et de la période de l’année. Au mois de novembre 2016, les enfants mendiants y avaient intégré des lignes sur la Francophonie (4). Au mois de décembre, ils faisaient des récitations sur les difficultés des familles malagasy à fêter Noël, faute d’argent. Des récitations qui sont apprises par cœur. J’ai appris d’un ami que ces enfants apprennent ces récitations chez un tuteur qui se voue exclusivement à inventer et apprendre des récitations à ces mendiants.
Enfants mendiants : un véritable réseau
Ces enfants mendiants sont localisés un peu partout dans la Capitale. Vous ne pourrez pas les rater si vous prenez le bus, notamment ceux du centre-ville. C’est un véritable réseau ! Ils opèrent notamment quand les bus ne sont pas pleins. Ils montent, vous disent « bonjour » et commencent à réciter pendant environ une minute. Puis ils se taisent et tendent leur main en passant près de chaque voyageur. Si certains détournent leur regard et crachent par la fenêtre pour illustrer leur dégoût, d’autres leur donnent de l’argent et parfois, émettent leurs appréciations par rapport à la récitation. Parfois, les receveurs de bus les reconnaissent et leur demandent de descendre dès qu’ils montent le marchepied. Ce qui est un peu triste pour l’enfant… malheureusement, malgré la bonne – ou mauvaise – intention de ces enfants, les bus ne sont pas faits pour mendier. Et encore moins pour faire des récitations…
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