Sauvons le Sohisika (Partie 3) – Le making-off !

Article : Sauvons le Sohisika (Partie 3) – Le making-off !
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8 octobre 2018

Sauvons le Sohisika (Partie 3) – Le making-off !

Récemment, j’ai publié deux articles sur la mauvaise gouvernance dans la conservation du Sohisika à Madagascar. Mais derrière ces deux articles publiés, il y a eu tout un travail, une véritable aventure, vécue entre nervosité, anxiété, fatigue, dégoût et extase. Tout ça pour l’amour du Sohisika.

Pour l’amour du Sohisika

Il était 6 heures et 25 minutes quand mon compagnon Lucas et moi nous avons débarqué à la gare routière à Vassacos, Antananarivo, pour prendre le taxi-brousse qui va à Ankazobe. A peine arrivés, nous avions envie de rentrer. Bruits de moteur, cris de « receveurs » (1), marchands ambulants, insalubrité… Je ne pourrai jamais me faire a cette débandade qui règne dans les gares routières malagasy… Bref…

Nous avons approché un petit hangar qui servait de lieu de vente des tickets et avons demandé :

« Deux places pour Ankazobe !

– Par ici la monnaie ! », a lancé le responsable avec une voix exaspérée. (Il devrait arrêter son boulot, lui !)

Il nous a donné nos tickets et a pointé du doigt un car, type Mercedes-Benz destine à la casse, plein à ras bord…

Comme mon ami et moi on semblait perplexe, il a ajouté « Mbola malalaka be io e ! » pour nous dire qu’il y avait encore beaucoup de places libres.

Lol. Durant tout le voyage, Lucas et moi on a dû supporter le supplice du strapontin, assis entre quatre personnes, des sacoches, des valises, des « gony« (2), sur un trajet de trois heures. Ouf ! Heureusement ça n’a pris que trois heures. A ce rythme, on arriverait peut-être à rentrer tôt a la maison. Peut-être…

Une fois arrive à Ankazobe, nous étions sensés appeler le président de l’association Sohisika qui devait nous amener à la réserve qui se trouvait encore à 30 kilomètres d’Ankazobe. On l’a appelé, il était déjà parti et nous attendait là-bas.

On a du donc y aller tout seuls, en prenant un taxi-brousse qui a mis trois heures à arriver à Ankafobe, car il attendait que le car soit plein, mais aussi, il ne roulait pas à plus de 30 kilomètres a l’heure…

Nous sommes arrivés a la réserve d’Ankafobe vers midi trente. Solofo, le président, nous attendait au siège, très visible sur la RN4 car c’est le seul bâtiment qui se dresse aux alentours, avec une plaque « Réserve d’Ankafobe » à côté.

Sohisika
La réserve d’Ankafobe fait 133 heactares, dont 33 hectares de forêt et 100 de savane et de forêt secondaire.
cc: Tiasy

Apres une séance d’interviews, nous sommes descendus dans la foret. Le stress et l’anxiété a vite laissé place à l’extase. La découverte du Sohisika, l’air pur, la vue de la nature dans toute sa splendeur, le sentiment d’être détachée du monde et de pouvoir admirer en toute sérénité cette merveille en plein cœur d’un désert, ont remis mes émotions à zéro.

J’ai été tellement impressionnée et inspirée que j’ai même tourne une petite vidéo sur les lieux, que vous pouvez voir ci-dessous:

D’autre part, nous étions en très bonne compagnie. Solofole président de l’association Sohisika, et les autres membres de l’association nous ont servi de guides. Ils étaient conviviaux, sympathiques, souriants, et maîtrisaient parfaitement le sujet dont ils parlaient (ils parlaient surtout du Sohisika, évidemment).

Nous avons exploré le fin fond de cette foret inexplorée, qui regroupe jusqu’à présent 200 espèces, selon l’inventaire. Parmi ces 200 espèces, 5 espèces endémiques et 35 oiseaux identifiés. La réserve abrite aussi une pépinière et un lieu de camping.

Nous avons effectué un circuit court qui a duré deux heures environ.

Sohisika
Les guides membres de l’association Sohisika (en arrière-plan), Lucas, et moi, en pleine réserve d’Ankafobe.
cc: Tiasy

Nous sommes repartis vers 15 heures, sur les préventions des guides selon laquelle les derniers taxi-brousses pour Antananarivo, que nous devions prendre à Ankazobe, partaient à 15 heures 30. Nous avons eu un petit pincement au cœur en repartant, après avoir rempli le cahier de souvenirs qu’ils réservaient aux visiteurs de la réserve.

Un retour aux multiples péripéties

Le taxi-brousse qui nous a ramené jusqu’à Ankazobe a été le même que celui qui nous avait amené a la réserve. Presque une heure pour 30 kilomètres, en s’arrêtant tous les kilomètres pour amasser du charbon en « gony« …

Nous sommes arrivés à Ankazobe vers 16 heures. On se serait crus dans une ville morte ! Les marchands avaient quitté leurs étalages, les restaurants avaient fermé leurs portes, le parking où on prenait le taxi-brousse était vide… Seuls quelques hommes, les yeux rouges, le regard hagard, plus ou moins dévêtus, une bouteille d’alcool à la main, étaient assis devant les kiosques sensés distribuer les tickets. Ils disaient qu’il n’y aurait plus de cars avant le lendemain matin, et qu’on ferait aussi bien mieux de trouver un hôtel où s’installer. Je me suis crue dans un film d’horreur…

Ankazobe ne m’inspirait nullement confiance. Avec cet air de ville-fantôme comme dans les westerns, j’avais l’impression que le lendemain n’arriverait jamais…

Mais nous n’étions pas seuls à attendre un car. Les passagers du bus dans lequel nous étions devaient aussi partir pour Tana. D’autres personnes, qui visiblement étaient déjà au parking avant nous, attendaient aussi. Malgré les affirmations des hommes ci-dessus, nous ne voulions pas accepter l’évidence. Il devait bien y avoir un car quelque part.

Au bout de quinze minutes d’attente, un des hommes qui nous avaient parlé plus tôt est venu vers nous.

« Vous partez pour Tana ?

– Oui !

– On peut trouver un car pour vous… Mais vous devez payer 30 000 Ariary (environ 8 euros, près de 9 fois le prix normal) ! »

Lucas et moi on s’est regardés. Quelle horreur, ces gens ! Alors c’est ça leur technique ? S’assurer que les voyageurs sont à l’agonie pour faire apparaître un véhicule ! Ry Malagasy namako, fa dia nahoana ? (3)

Une femme, qui attendait aussi, avait entendu. Elle est venue à notre encontre :

« 30 000 Ariary ? » lança-t-elle.

L’homme acquiesça, une cigarette a la bouche.

« Ok ! Je peux même payer tout le car pour moi toute seule si vous voulez ! Je veux juste rentrer ! », fit-elle.

J’ai compté mes sous dans ma tête puis j’ai regardé mon copain, qui opina du chef.

« OK ! » lançai-je.

L’homme est reparti vers ses amis. Ils discutèrent pendant quelques secondes, puis il traversa la rue en nous lançant qu’il allait récupérer un car. Nous nous sommes sentis un peu mieux.

La dame nous a dit qu’au pire des cas, des taxi-brousses venant de Majunga pouvaient aussi s’arrêter et nous prendre… Mais tous les taxi-brousses qui passaient étaient plein à ras bord ; il était 16 heures 30.

Apres 10 minutes, l’homme est revenu. Il nous a dit en pouffant de rire qu’il n’y avait pas de voiture…

Il s’est rassis devant le kiosque de tickets.

Un autre homme, toujours des leurs, nous a approché à son tour.

« On peut faire un auto-stop pour vous si vous ‘mametraka kely’ ! » (4)

Ah, le « mametraka kely« , le début de toute une chaîne de corruption… C’est dégueulasse…

Mais ici, il s’agissait plus d’un échange de services. Le terme étant utilisé malproprement.

Il a fait plusieurs auto-stop avant qu’un homme conduisant un 4×4 Galloper ne finisse par s’arrêter. Prix du trajet : 10 000 Ariary par personne, et 5 000 Ariary pour l’homme qui a fait de l’auto-stop.

Il était 17 heures 25, nous allions enfin partir pour Tana, avec la femme à nos côtés et un homme avec elle, son homme-à-tout-faire, d’après ses explications.

La nuit tombait, on ne pouvait pas rouler très vite malgré la puissance du Galloper qui roulait à 70 kilomètres à l’heure. 100 kilomètres à l’heure si la route était mieux entretenue et s’il faisait jour, racontait le chauffeur.

Avec les embouteillages dès qu’on arrivait à Ambohidratrimo, à environ 15 kilomètres d’Antananarivo, nous ne sommes arrivés en plein cœur d’Antananarivo que vers 19 heures 30.

Le chauffeur, qui rentrait à Itaosy, à l’ouest de la Capitale, nous a déposés en centre-ville. Nous l’avons remercié, mais on a dû attendre encore 15 minutes pour avoir un bus et rentrer chez nous, à l’est de la Capitale.

Nous sommes arrivés chez nous vers 20 heures 15, complètement exténués mais aussi soulagés et très contents d’avoir découvert ce petit bout de paradis qu’est la réserve d’Ankafobe !

 

(1) receveur: aide-chauffeur dans les transports en commun, plus destinés à recevoir les frais de transport qui se paient en espèces et à crier dans les arrêts-bus
(2) « gony« : sorte de gros sac tissé utilisé par les commerçants pour y stocker leurs produits, notamment le riz, le sucre, le sel, le manioc, le charbon…
(3) « Cher Malagasy, pourquoi ? »
(4)« mametraka kely »: expression familière pour dire « donner de l’argent! ».
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