Sauvons le Sohisika ! (Partie 2)

Article : Sauvons le Sohisika ! (Partie 2)
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3 septembre 2018

Sauvons le Sohisika ! (Partie 2)

La conservation de l’arbre endémique Sohisika à Madagascar est entravée par des problématiques politiques, en particulier par une mauvaise gouvernance qui empêche le bon déroulement des activités de conservation de cette espèce. ONGs, société civile, techniciens employés des réserves naturelles, responsables étatiques, tous unissent leur voix pour dénoncer un manque de contrôle, malgré les stratégies adoptées par les autorités étatiques.

Collaboration étatique

Le Missouri Botanical Garden (MBG) est le partenaire principal de l’association Sohisika dans la conservation de l’arbre endémique Sohisika.

« MBG est partenaire de l’association dans différents domaines : conservation, sensibilisation, restauration écologique des zones dégradées, plantations, valorisation de la forêt pour les visiteurs mais aussi dans l’amélioration des moyens de subsistance des villageois par la formation en « Dynamic agroforesterie » dans leurs champs de cultures », a-t-on appris de la MBG lors d’une interview.

La MBG collabore également avec l’Etat, ils sont en lien avec le ministère de l’Environnement, de l’Ecologie et des Forêts mais aussi avec le Chef Cantonnement (Ceef) Ankazobe, représentant de la Direction régionale de l’Environnement, de l’Ecologie et des Forêts (Dreef) à Ankazobe,  et la Commune Ankazobe.
Selon le Code de gestion des aires protégées (COAP), dans le cadre de la création de la nouvelle Aire protégée Ankafobe, l’Etat sera le délégant et MBG sera le délégataire.

Dépendance et manque de moyens

D’après Jean-Jacques Solofonirina, Président de l’association Sohisika, la collaboration de l’association avec l’Etat est d’ordre purement technique et administrative.

Cette collaboration très distante crée une situation insatisfaisante pour les acteurs de la défense des espèces endémiques tel que le Sohisika, car les responsables étatiques ne sont pas toujours au courant des réalités sur le terrain. D’ailleurs, les techniciens des institutions étatiques qui travaillent dans le domaine environnemental disent eux-mêmes que l’Etat suit l’activité des ONGs présentes sur les lieux, sans être eux-mêmes sur place. La réalité c’est donc que les agents de l’Etat sont absents du terrain, ils se contentent d’un suivi à distance.

Selon le contrat de transfert de gestion (1) établi entre l’association, la Dreef Analamanga et la Commune Ankazobe, il revient aux agents de la Dreef d’effectuer le suivi des activités une fois par an.

Mais ce suivi annuel n’est pas suffisant, notamment dans le cas de la conservation du Sohisika, qui représente un véritable problème environnemental. Pour qui connait le dossier il y a urgence. Les recommandations du contrat de transfert de gestion ne sont donc pas en phase avec les besoins. Malheureusement, assurer un suivi sur terrain plus important (et donc plus fréquent) n’est pas évident pour les agents étatiques, et ceci, faute de moyens matériels et de ressources humaines, comme l’a avoué un technicien au sein du ministère.

D’après les aveux de ce technicien, les moyens alloués par l’Etat à la Dreef sont insuffisants. Mais il ne s’agit pas d’un manque de moyens financiers, le problème n’est pas là.

« Ce n’est pas que l’on n’a pas d’argent, c’est la volonté politique qui manque. Et cela se répercute sur toutes nos activités », a raconté ce fonctionnaire qui a souhaité conserver l’anonymat.

Sohisika
Le feuillage du Sohisika est abondant et peut servir de parasol naturel.
cc: Tiasy

Manque de contrôle et de volonté de l’Etat

La conservation de l’arbre endémique Sohisika à Madagascar fait donc face à un problème politique. Comme le dénonce un responsable au sein du village d’Andranofeno – village avoisinant la réserve d’Ankafobe et qui participe aux actions de conservation au sein de l’association Sohisika – l’Etat ne semble pas apporter une grande importance à la lutte contre les feux de brousse, au problème de la coupe illicite, aux suivis en matière de respect des lois ou encore aux suivi des « Dina »(2). Acteurs, militants… tous ceux qui oeuvrent à la sauvegarde du Sohisika font donc face à un manque criant de volonté politique, qui nuit à la bonne protection du bois.  De façon logique, ce manque de volonté de l’Etat se répercute sur la conservation du Sohisika.

Depuis l’instauration du « Dina » dans  les années 2005, pas un seul pyromane n’a été « attrapé ». D’après un habitant d’Ankazobe, le Fokontany refuse de les attraper car ce sont des « gens du village », « Fihavanana (3) oblige », a ajouté Jean-Jacques Solofonirina, Président de l’association Sohisika. Le « Fihavanana » protège les malfrats environnants, ils savent que, non seulement ils ne se feront pas prendre, mais qu’en plus ils finiront par se faire pardonner.

Sohisika
Des « aroafo » ou protection contre les feux, mis en place par les techniciens de l’association Sohisika.
cc: Tiasy
sohisika
La coupe illicite a laissé des traces dans la réserve d’Ankafobe. Ci-dessus, un arbre coupé avant la création de la réserve en 2005.
cc: Tiasy

Quant au gouvernement, il ne souhaite pas intervenir car cette situation est sans grande importance à ses yeux. Ce que le gouvernement considère comme des « petits délits » sont pourtant à l’origine de la dégradation de tout un écosystème !

Cette situation est d’autant plus étonnante quand on sait qu’il existe un cadre légal qui régit la conservation des ressources naturelles à Madagascar, et pas des moindres : Politique forestière, textes sur la Gestion locale des Ressources Naturelles Renouvelables du 10 septembre 1996, textes sur la Gestion Contractualisée des Forêts de l’Etat du 14 février 2001, le COAP.

Des lois bien écrites sur le papier, mais peu appliquées dans la réalité.

On constate que certains textes sont relativement récents, une prise de conscience politique a donc eu lieu, mais visiblement sans aucun effets.

Selon Nanie Ratsifandrihamanana, Directrice du Fonds mondial pour la nature ou WWF à Madagascar « la mise en application du cadre légal est LA  faiblesse dans la conservation des ressources naturelles. Aussi, ce qui manque, c’est une réglementation plus moderne et plus à jour pour les secteurs forestiers productifs. Le manque de continuité des activités est également un problème : après la crise politique de 2009, des projets qui avaient bien avancé n’ont pas bien repris jusqu’à maintenant ».

A Madagascar, le WWF est une des principales ONGs qui travaille avec l’Etat pour la conservation des ressources naturelles. La conservation du bois précieux est une des principales branches dans laquelle l’organisation collabore avec l’Etat et la société civile.

Manque de transparence budgétaire

Sur le plan financier, le doute plane. Que ce soit en matière de conservation du Sohisika ou en matière de conservation des ressources forestières, les chiffres dédiés à ces sujets demeurent flous, tout comme les procédures pour le déblocage de fonds, essentiellement originaires des ONGs.

La Direction régionale de l’Environnement, de l’Ecologie et des Forêts de la région Analamanga tente d’apporter des éclaircissements :

« Il n’existe pas de ligne budgétaire allouée à la Dreef Analamanga pour la conservation du Sohisika à Ankafobe. En ce qui concerne la protection des ressources forestières, la DREEF Analamanga dispose de deux lignes :

–          le PIP (Programme d’Investissement Public), budget alloué par l’Etat destiné à des opérations courantes et d’investissement constitué par des ressources propres de l’Etat ;

–          le budget AFARB (Action en Faveur de l’ARBre) alimenté essentiellement par les recettes générées par les redevances sur les produits forestiers ligneux et les produits forestiers non ligneux »,

a clarifié la Direction.

Il faut aussi préciser que toutes les opérations financières de ces budgets s’effectuent au niveau de la Trésorerie Ministérielle et ce, conformément aux procédures de la gestion des finances publiques.

La Dreef a également insisté sur le fait qu’il fallait « être prudent et veiller à ne pas faire double emploi avec certaines associations, car la Missouri Botanical Garden (MBG) finance déjà cette activité». C’est ainsi que la Dreef justifie sa position et son action : la non-ingérence du ministère dans les activités de l’association Sohisika en général.

L’Etat malagasy se cantonne donc à un rôle de délégant. Cette attitude apparaît pour le peu laxiste quant à la question de la conservation de l’arbre endémique Sohisika à Madagascar, une attitude qui est un véritable handicap à la bonne gestion d’un écosystème déjà menacé d’extinction.

Il y a pourtant un enjeu important, le Sohisika représente un gros potentiel économique pour l’île : il fait partie des destinations touristiques de la Route nationale 4, les visiteurs sont nombreux chaque année, parmi eux des étudiants et des chercheurs venant de l’étranger, des Etats-Unis en particulier.

La réserve d’Ankafobe fait ainsi partie des sources de revenu de la Commune Ankazobe. Malheureusement, elle demeure peu connue des nationaux ainsi que des étrangers. Le manque de considération de l’Etat n’arrange rien à cette situation. Au final, les villageois essaient tant bien que mal de conserver ce patrimoine d’une immense valeur en espérant qu’à l’avenir ils verront une meilleure implication des autorités étatiques.

(1) Le contrat de transfert de gestion établi entre le VOI, la DREEF Analamanga et la Commune Ankazobe comporte les éléments suivants :

–          Le Contrat en lui-même

–          Le Cahier de charges qui stipule les rôles et responsabilités des parties contractantes

–          Le Plan d’aménagement qui prescrit les activités afférentes.

(2) « Dina »: système de paiement d’amende mis en place par les Fokontany, communauté de base à l’échelle administrative, chargée de prendre en charge les affaires administratives dans une petielocalité délimitée au préalable

(3)   « Fihavanana » : valeur culturelle malagasy, principe de base dans la vie de société malagasy, mettant en avant l’entraide et la solidarité en toutes circonstances

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