Ankazobe – 90 kilomètres pour passer dans une autre dimension – Partie 2

Article : Ankazobe – 90 kilomètres pour passer dans une autre dimension – Partie 2
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18 mars 2020

Ankazobe – 90 kilomètres pour passer dans une autre dimension – Partie 2

Je me suis avancée vers une bâtisse, où il y avait écrit « Hôtel Le Bonheur ». J’ai fixé la plaque des yeux en essayant de trouver une quelconque information qui dirait « Fermé le weekend ». Cela ne serait même plus étonnant.

J’étais en train de bien regarder la plaque quand une femme est venue dans ma direction. J’ai presque failli crier.

Elle semblait avoir une trentaine d’années, le sourire jusqu’aux oreilles, la voix assez grinçante.

Bonjouuuuuur !

Bonjour ! Vous… Vous êtes fermés ?

Non non, nous sommes ouverts !

Ah d’accord. Cool ! Euh… C’est à combien, vos chambres ?

30 000 Ariary pour celles dont les toilettes sont à l’extérieur et 40 000 Ariary pour les toilettes à l’intérieur.

Parce qu’il y a des hôtels où les toilettes sont à l’extérieur ?…

Puis-je voir celles à 30 000 Ariary ?

Oui, bien sûr ! fit-elle, très sympathique. Un peu trop à mon goût.

tiasy
Nous portons tous un masque dans cette vie. cc: Pixabay

Je dois avouer que ce ne fut pas la chambre d’hôtel de mes rêves. C’était d’ailleurs une maisonnette, disposée comme un bungalow. Mais pour passer une nuit à se réconcilier avec soi-même, tant qu’il y avait un lit, cela me suffisait.

Ça vous va ?

Oui oui, pas de problème.

Enfin, si, petit problème : la porte ne fermait pas.

Euh… Cette porte ne ferme pas ?

Non non, aucune porte ne ferme ici ! C’est une localité très sécurisée. Vous n’avez rien à craindre.

Eh ben ! Depuis le temps que je rêve de ne pas craindre de voleurs ou de violeurs si ma maison ne se ferme pas…

La dame a ensuite appelé un homme.

Peux-tu recevoir cette personne ? Elle va dormir ici pour la nuit ! cria-t-elle

Un homme d’une trentaine d’années, à peu près de la même taille que moi, sortit d’une petite construction à une pièce, similaire à la maisonnette-chambre.

Manao ahoana tompoko o ! fit-il, avec ce débit de parole -_-

Manao ahoana o !

Voilà, je vous laisse ! fit la dame en partant.

Je me suis alors retrouvée nez-à-nez avec cet homme, qu’on va appeler Dolin (ceci est bien sûr un nom d’emprunt).

Vous allez rester ici juste cette nuit ? me demanda-t-il en scrutant la salle de bain

Oui.

Oh, c’est dommage. Pourquoi ne pas rester plus longtemps ?

Oh… J’aimerais bien mais bon, j’ai aussi des choses à faire à Antananarivo.

Ah, donc vous venez de la Capitale ?

Oui.

Mmmmh… Il n’y a plus d’eau dans cette chambre, je vais vous en prendre.

L’eau  n’était pas trop mon problème à ce moment. Mon téléphone était complètement déchargé et ça faisait cinq minutes que j’essayais de détecter une prise quelque part entre murs et les meubles de la maisonnette.

Attendez. Il n’y aurait pas une prise dans cette maison ?

Une prise ?… Si, mais on n’a pas le courant.

Mon Dieu ! L’hôtel n’a pas le courant, et je dois payer 30 000 Ariary pour y passer la nuit… Comment cela était-il même possible ? …

Comme si Dolin avait lu dans mes pensées, il enchaina :

En fait, on avait un panneau solaire. Mais celui-ci ne marche plus depuis la semaine dernière. On ne sait pas ce qui s’est passé mais après les fortes pluies, ça n’a plus capté. On doit attendre quelques semaines avant d’en avoir un nouveau.

Ah ! La poisse : Fallait-il que ça tombe sur moi ? -_-

Bon. Rien de mieux pour se réconcilier avec soi-même que de passer 12 heures dans le noir… Quelle joie ! Que peut-on demander de plus ? …

Pendant que Dolin était allé puiser de l’eau, je me tournais les puces en écoutant mon ventre gargouiller. Il était 15 heures 30.

Dolin est vite revenu, avec un seau plein d’eau.

Voilà Madame ! Vous avez de l’eau maintenant ! fit-il en déposant le seau dans la salle de bain

Merci. Dites, l’hôtel a un restaurant ou une gargote ? Quelque chose ?

Oui, nous avons un restaurant…

Ah, super ! J’ai trop faim ! m’exclamai-je en sortant avec entrain

…Mais on n’ouvre pas en weekend !

J’ai senti comme une vague de déception envahir mon être.

Donc, en fait, je paie 30 000 Ariary pour le lit… Et je n’avais même pas cette somme sur moi. Il va falloir trouver un kiosque de mobile-banking avant le coucher du soleil. D’autre part, j’avais rendez-vous avec un guide touristique pour une randonnée dans trente minutes. Et tout cela m’avait l’air d’un très mauvais film d’horreur…

Par contre, on peut vous faire à manger si vous commandez, mais ce ne sera près que vers 18 heures car le cuisinier n’est pas encore là, continuait Dolin

Mais est-ce qu’il n’y a pas de restaurants plus proches, dans les environs ? Je n’ai pas encore déjeuné.

Non, ils sont tous fermés, mais je vais descendre en ville si vous voulez venir avec moi.

Je ne sais plus trop si c’était une bonne idée ou pas de trainer avec un inconnu en pleine montagne sur environ deux kilomètres, dans un lieu où je ne connaissais personne, mais bon, j’avais trop faim et je n’avais pas toute ma tête. Par contre, je ne pourrai venir avec lui qu’après la randonnée.

Maintenant ? demandai-je

Non, dans une ou deux heures.

D’accord, cela me va, répondis-je. Par contre, si vous aviez un peu d’eau, car je vais aller en randonnée pour une heure et trente minutes environ.

Dolin se faufila dans la petite maisonnette d’où il était sorti pour la première fois, et en revint avec une bouteille d’eau vive remplie de « ranovola »(5). Hallelujah ! Ça allait me tenir en vie pour au moins deux heures.

Je suis donc partie en randonnée, pour ensuite rejoindre Dolin deux heures plus tard et aller me trouver un casse-croûte en ville, ainsi qu’un kiosque de mobile-banking.

Une nuit face à soi-même

tiasy
Nous sommes très nombreuses dans ma tête, c’est juste que l’on ne voit que moi. cc: Tiasy

La soirée promettait d’être longue. Dolin et moi avons été surpris par la pluie, en ville, et le seul mobile-banking disponible avait fermé, ainsi que la plupart des épiceries, gargotes et restaurants des environs.

J’ai fini par m’acheter quelques biscuits chez un grossiste, et Dolin m’a ensuite commandé à manger une fois que nous sommes arrivés, vers 19 heures 30.

Vers 20 heures, me voilà face à moi-même, sans téléphone, sans ordinateur, avec pour seule compagnie une bougie, un bloc-notes et un stylo. Des bruits bizarres se faisaient entendre de temps en temps mais, si j’écris ceci, c’est que ces bruits n’ont rien été d’inquiétants.

Je reviens à ce que j’avais dit dans la Partie 1 de ce billet (), « passer un weekend seul,, sans personne à qui parler, loin du bruit, loin des gens, loin de la société, loin du monde, voilà une thérapie intéressante et efficace que je conseillerai à toute personne qui a besoin d’une renaissance, d’un renouveau. »

Nous sommes assez nombreux dans ma tête (je vous épargne les détails). Dans la vie de tous les jours, nous n’avons jamais trop le temps de discuter de nos joies, de nos problèmes, d’avoir des débats sur les décisions que « je » prends, sauf les nuits, quand je vais aller me coucher, et que toutes les voix commencent à parler en chœur… Enfin, plus en cacophonie qu’en chœur mais bref, vous l’aurez compris. Et non, je ne suis pas folle ! Enfin, je le suis, mais pas dans le sens strict de la folle que l’on interne dans les hôpitaux psychiatriques, bien que mon copain me le demande souvent (xD)

Bref, cette nuit-là, j’ai été face à toutes les personnes dans ma tête. Oui, un véritable film d’horreur sauf que voilà, personne n’est mort (je vous spoile).

En fait, ce fut littéralement une discussion constructive, où j’ai pu me poser toutes les questions qui me trottinaient en tête et avoir toutes les réponses dont j’avais besoin.

Parmi les questions que je me posais, et j’imagine, que tout adulte (ou pas) normal et sain d’esprit (ou pas) se posent à un moment de sa vie :

« Pourquoi j’ai pris cette décision ? »

« Pourquoi j’ai fait ça ? »

« Pourquoi j’ai choisi ceci et pas cela ? »

« Pourquoi je suis comme ça ? »

Me remettre en question, voilà, en résumé, ce que j’ai fait à Ankazobe. Et j’ai pu y retrouver mes réponses pour revenir ensuite à la vie et reprendre là où je m’étais arrêtée, avec un nouveau souffle.

Ne vous attendez pas à un monologue où je vais vous dire que j’ai découvert que je me suis trompée de carrière, ou ce genre de chose XD. Non, je dirai juste que j’ai retrouvé ma place dans ce monde, et que je conseillerai la même thérapie à tous ceux qui se posent des questions en ce moment.

Et si vous ne vous posez pas de questions, c’est peut-être le moment de vous y mettre…

Je vais conclure en disant que j’ai failli ne pas rentrer parce que réserver un taxi-brousse d’Ankazobe à Antananarivo relève du parcours du combattant, et que j’ai dû attendre deux heures après la réservation sur place pour attendre que le taxi-brousse remplisse avant d’embarquer, alors qu’à la réservation ils me balancent :

« Haingakaingana Madama fa ianao sisa no andrasana !” (6)

Heureusement, entre-temps, j’ai pu charger mon telephone dans les “kiosques” réservés à cela, car oui, cela existe à Ankazobe : des kiosques de chargement !

200 Ariary par heure, et c’est un gagne-pain qui rapporte !

Avis aux entrepreneurs qui veulent gagner de l’argent rapide ! Haha !

Eh oui, une toute autre dimension… 🙂

(5) « ranovola » : eau de riz bouillie, très commun pendant les repas malagasy
(6)« Haingakaingana Madama fa ianao sisa no andrasana !”: phrase malagasy signifiant « Dépêchez-vous Madame, on n’attend plus que vous! »
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Commentaires

Eric alias Kira
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T'as la plume très chère!
Bon conseil en tout cas pour ceux qui veulent se retrouver avec eux-mêmes.
Keep up the good work! well done!

tiasyraconte
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so many thanks dear! :)

Bloo
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Je m'attendais vraiment à un fin genre "j'ai découvert le sens de la vie, comme quoi, nous sommes tous des coccinelles :D "

Ça m'a bien tenu en haleine ton aventure, bravo.
C'est vrai que c'est bien quelque chose à faire, se retrouver avec soi.

Bonne continuation,

tiasyraconte
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mdrrrrrr, des coccinelles? euh...ç'aurait été bien mais non, nous sommes des humains.
Merci. :)