tiasyraconte

Madagascar – Quand une génération condamnée dit « Non ! »

Je voulais, au début, écrire cet article sur notre blog d’actualités, Book News Madagascar. J’ai mis une semaine à rechercher un angle, à essayer de voir de quelle manière je pourrai le mieux transmettre le message qui me tient à cœur… J’ai fini par la trouver ! Et je veux la transmettre ici car, en 2017, j’avais écrit un article sur le cri de détresse d’une jeunesse condamnée à Madagascar. Aujourd’hui, je reviens, pour clamer haut et fort que la génération condamnée dit « Non ! ».

« Non ! » à la corruption, « Non ! » à la pression de la société sur les stéréotypes, « Non ! » au sexisme, « Non ! » à la condamnation !

On s’est réveillés !

Cela fait presque deux ans que je fais le raid de toutes les conférences, ateliers, workshops, séminaires, débats et autres dénominations d’évènements du genre, pour assister et écouter comment les gens de mon pays, les JEUNES de mon pays, vivent cette situation de condamnation.

Bien que j’aie horreur de ces événements en général, vu comme les échanges et discussions sont stériles et inconsistants – désolée pour ceux que ça choque mais c’est vrai ! –  j’ai quand même noté un changement depuis les derniers mois où j’ai assisté à ces genres d’événements.

En fait, c’était un peu avant les élections présidentielles du novembre dernier à Madagascar. Les conférences, débats, partages, témoignages, etc., se sont multipliés. Et pour une fois, il m’a semblé que les mots que l’on se disait entre ces quatre murs étaient enfin les mots que j’attendais. Des mots qui sortaient de la bouche des JEUNES ! Des jeunes comme moi, qui en avaient juste marre de cette atmosphère stérile dans laquelle nous vivions, qui étaient peut-être aussi à deux doigts de laisser tomber et de « fuir » littéralement le pays, en recherchant une quelconque bourse d’études, plus vue comme une échappatoire que comme un moyen d’avoir un « bon » diplôme… Des jeunes comme moi, qui voulaient apporter un changement, parce qu’ils étaient conscients, quelque part, d’avoir des responsabilités, en tant que citoyens, en tant que malagasy, en tant que femme, homme, JEUNE… « Le futur du pays », comme on dit ! Mais en fait non, car c’est maintenant que ça se joue ! MAINTENANT ! C’est du PRESENT qu’on parle ! C’est maintenant que les jeunes doivent « briser les règles » ! Et j’ai trouvé des jeunes comme moi, qui voulaient eux aussi briser les règles !

Oui, des jeunes qui se sont réveillés ! Un peu avant les élections mais c’était le moment ou jamais ! Les débats sont partis ! Les échanges ont fusé de partout et cela continue aujourd’hui. Et je ne m’en lasse pas une seule seconde car ça y est, on s’est réveillés ! Et on réveille chaque jour un peu plus de gens, à travers des talks, des dialogues, des débats, des « loa-bary an-dasy »(1)… Ces derniers touchent d’ailleurs plusieurs domaines : de l’agriculture au digital, en passant par la corruption, le droit des femmes, la citoyenneté, le journalisme, ces discussions sont devenues les principales plateformes où nos jeunes s’expriment pour dire « Non ! »

« Non, on ne veut pas ! »

« Non, je ne veux pas ! »

On ne veut pas beaucoup de choses. Je ne veux pas beaucoup de choses. Mais aujourd’hui, j’ai choisi de parler de « Non, on ne veut plus de ces inégalités et stéréotypes ! ».

J’ai choisi ce thème dans le cadre de la célébration du 8 mars, la journée internationale des femmes.

« Real Men Movement 2019 »

J’ai choisi de parler de deux événements auxquels j’ai assisté ce mois de mars, autour de la célébration de la journée internationale des femmes.

Le premier événement s’appelle « Real Men Movement 2019 ». Un mouvement organisé par l’association Empowermen Madagascar, une organisation fondée par des jeunes Malagasy qui ont pour vision de faire des hommes des acteurs de développement social et économique du pays.

génération condamnée
Ny Ranto Rabarison, Chargé de communication au sein de l’Empowermen Madagascar, en plein speech lors de la conférence, le 6 mars 2019.
cc: Tiasy

L’événement consiste en une série de conférences et de talks réalisés par différents jeunes panélistes, hommes et femmes, qui sont des acteurs de changement dans différents domaines, et qui sont même classés comme des « leaders » parmi la jeunesse malagasy actuelle. Un événement qui a eu lieu du 6 au 16 mars 2019 dans la capitale.

Ce qui m’a vraiment marqué par cet événement en fait, c’est l’unité dans laquelle il a été créé : des jeunes hommes et femmes réunis dans une même salle pour discuter des réels problèmes de la société. Les sujets qui divisent la société malagasy comme l’engagement citoyen, la violence conjugale, la culture du viol, ou encore le harcèlement sexuel et le harcèlement des rues, la valorisation des inégalités et des stéréotypes… Ces sujets ont été décortiqués dans les débats, sur un ton convivial, humoristique, mais en même temps formel.

« Ce sont ces stéréotypes qui empêchent d’avancer. Il est ancré dans la tête des gens que pour être un homme, il faut être ceci, pour être une femme il faut être ceci. C’est la société elle-même qui a émis ces principes. Pourtant, ces principes entravent le développement. Pire, la culture aussi met en avant ces principes. C’est le cas dans le Sud de Madagascar où on relève encore beaucoup de cas de sexisme », rapporte Ny Ranto Rabarison, chargé de communication au sein de l’Empowermen Madagascar.

Pour l’Empowermen, l’éducation est la base du changement de la mentalité. Une vision avec laquelle je suis complètement d’accord.

D’autre part, bien que l’égalité des sexes soit petit-à-petit acceptée dans la société malagasy depuis quelques années maintenant – d’après mes observations personnelles, je trouve quand même qu’un certain sexisme existe encore dans certains domaines. C’est le cas dans le domaine digital, et je ne peux juste pas conclure cet article sans en parler ! Passion du digital oblige !

« Women Rock in Digital »

Chers hommes, chers frères, chers cousins, chers maris, chers… tous ! xD Nous ne sommes pas juste bonne à faire le ménage et à cuisiner ! Je dis « Non ! » Il y a des filles qui ne sont pas doués pour cuisiner – dont moi, tout comme il y a des hommes qui ne sont pas doués en informatique et en digital ! Les stéréotypes, stop ! Cela n’a plus lieu d’être dans le monde d’aujourd’hui ! Tout est question de compétences, tout simplement.

C’est dans cette vision de compétences, de connaissances, de capacités, que Bocasay et la startup Passion 4 Humanity, avec laquelle je travaille en étroite collaboration en tant que blogueuse, a organisé l’événement « Women Rock In Digital », le vendredi 8 mars dernier.

Tout comme l’événement « Real Men Movement 2019 », il s’agissait d’une série de talks donnés par de jeunes femmes travaillant dans le digital, qui a eu lieu le 8 mars dernier.

génération condamnée
Des femmes travaillant dans le digital se sont alternées pour faire des talks, lors de l’évènement « Women Rock in Digital », le 8 mars dernier.
cc: Tiasy

Le digital et l’informatique ont longtemps été des domaines où le mâle domine. La femelle devait se tenir en retrait, regardant le mâle à l’œuvre. Une geekette, de toute manière, ce n’est pas très sexy, ce n’est pas beau à voir, ça n’a pas de forme et ça passe son temps derrière son PC. Eh ben non, Monsieur ! On peut faire des choses ! Mieux que vous !

Je me rappelle. Mon site WordPress avait rencontré un énorme problème… J’ai fait appel à trois amis ingénieurs et aucun n’a pu résoudre mes bugs. En squattant sur des forums, en lisant des documents et en regardant des vidéos sur Youtube, j’ai fini par régler le problème moi-même… « Oui ! Nous sommes fortes en digital ! »

Pour revenir à un ton plus sérieux, depuis quelques années maintenant, de plus en plus d’entreprises informatiques recrutent des femmes à Madagascar. C’est le cas de l’entreprise eTech, ou encore de Passion 4 Humanity. Ces entreprises ont d’ailleurs témoigné de l’efficacité du travail que fournissent les femmes dans le secteur.

D’après Landy Rafalimanana de Passion 4 Humanity, le principal problème, encore une fois, se situe au niveau des stéréotypes.

Pour les parents malagasy, les filles doivent poursuivre leurs études universitaires en filière littéraire, et les garçons en filière scientifique. Mais non, ce n’est plus cela depuis des siècles !

Chers parents, ne condamnez pas vos enfants à ces stéréotypes ! Ni vos fils, ni vos filles ! Ils ont tellement de potentiel…

Tout comme à l’Empowermen, Landy s’accorde à dire que la solution de base est l’éducation.

« Non ! »

Bref, ces deux exemples ne sont pas les seuls exemples d’une génération qui se réveille.

La jeunesse malagasy est consciente que quelque chose ne va pas et elle essaie d’y remédier.

L’éducation en est la base. Et d’ailleurs face à cela, à Madagascar, des mouvements naissent ici et là, tous initiés par des jeunes. Des mouvements pacifiques, mais qui manifestent corps et âmes que nous sommes là, que nous sommes vivants, que nous osons dire « Non ! », que nous osons briser les règles !

Des mouvements qui ne semblent toujours pas axés sur cette voie, mais en fait si, ils sont axés sur l’éducation. L’éducation peut prendre beaucoup de formes aujourd’hui. Comme le mien qui se fait à travers le blogging et le digital. Même l’éducation est victime de stéréotypes ! xD

Mais non ! Nous sommes tellement mieux que ces stéréotypes ! Nous sommes tellement mieux qu’une génération condamnée à fuir le pays ! Non ! Nous pouvons apporter un changement à Madagascar ! Nous pouvons apporter un changement positif !

Nous sommes réveillés. Nous ne nous rendormirons plus !

 

(1)« loa-bary an-dasy »: expression malagasy pour définir une discussion approfondie sur un sujet


Quand une blogueuse se réconcilie avec elle-même

Ça fait des mois que je n’écris plus… Que je n’arrive plus à coucher la moindre ligne, le moindre paragraphe… Que je fixe mon écran pendant des heures en espérant que finalement une idée va étinceler, le déclic va arriver. Un article va prendre forme dans ma tête, les idées vont jaillir et je remplirai facilement ce papier blanc au format A4… Mais rien…
Les semaines se sont multipliées. J’ai été engloutie dans une brèche qui m’avait séparée de mon alter-ego: cette blogueuse qui ne voulait rien de plus qu’écrire, raconter, partager…

blogueuse
Une blogueuse en face d’elle-même…
cc: Maeva

Engloutie par le digital

J’adore le digital. Je me suis découverte une passion pour le blogging, le vlogging, les réseaux sociaux, et tout ce vaste monde du cybernétique, en 2016, alors que j’avais été nominée pour couvrir les élections présidentielles aux Etats-Unis. Là-bas, j’ai pu comprendre que la technologie pouvait être passionnante et apporter beaucoup à la communauté. Il fallait juste la conjuguer sur une note positive.

Seulement voilà. Le digital, ça vous aspire. Plus vous le découvrez, plus vous vous faites engloutir. Grâce au blogging, j’ai pu capitaliser sur mes premières connaissances en coding, renforcer mes capacités en graphisme, améliorer toutes ces stratégies de référencement, de rédaction journalistique et web, de photographie…

J’ai aussi pu me libérer de ces contraintes d’écriture que j’avais rencontré dans les desks d’organismes médiatiques, notamment par rapport a la ligne éditoriale souvent liée à la politique…
Seulement, avec cette aventure, je suis aussi devenue une victime de cette digimania.

Je n’arrivais plus à me défaire de la connexion. Je devais être connectée sans cesse. C’est devenu plus une obligation qu’un moment de détente, car je travaillais sur les réseaux sociaux.

J’ai pu trouver du travail grâce au blogging. J’ai pu donner des conférences, partir en mission, voyager, et bien sûr gagner ma vie. Oui, car si j’aime valoriser mes talents, j’aime aussi les rentabiliser.

Tiasy
J’ai visité la QMM à Fort-Dauphin, en novembre dernier.
cc: José Belalahy

J’aime être reconnue pour mes compétences, mes capacités, mes talents, mes valeurs, les causes que je défends. Seulement, toute médaille a son revers.

Entre gagner ma vie et conserver la source de mon inspiration, un fossé s’était creusé. J’avais oublié pourquoi j’avais, au début, blogué. J’avais décidé de bloguer. Pourquoi? Pour qui?

Je blogue…

J’ai mis du temps à me retrouver. J’ai dû faire, littéralement, la paix avec moi-même.

Je blogue parce que j’ai besoin d’écrire. Oui, c’est un besoin, plus qu’une envie. J’ai besoin d’écrire pour aligner mes idées, pour évacuer toutes ces pensées dans ma tête qui m’empêchent de dormir la nuit. Je blogue pour moi.

Je blogue pour partager ce que je ressens, ce que je vois, ce que je vis, à qui veut bien le lire. Ça me fait du bien de savoir qu’il y a sur cette Terre des gens qui partagent mes ressentis, que je ne suis pas si seule dans ma folie.

Je blogue aussi pour me dégager de ma solitude. Car il y a des choses que l’on ne peut pas dire, mais qui sortent et se comprennent mieux à l’écrit.

Pour partir plus loin dans mes motivations profondes, je blogue car j’ai envie de contribuer à apporter un changement positif à ma communauté, et c’est un moyen pour moi de faire la part des choses.
Le changement ne sera peut-être pas immédiat, pas même dans un futur proche, mais à travers mes textes, je pense quand même apporter ma modeste contribution au développement de mon pays. Et le digital me facilite grandement la tâche!

Entre un leader d’opinion, si j’ose le dire, et un Influenceur positif, voilà ce qui me pousse à taper ces mots sur mon clavier. A partager, à inspirer, à former…

Et c’est ce qui m’a, après plusieurs semaines de contre-production, poussé à écrire de nouveau.
Apres plusieurs mois de conflit intérieur, je me suis réconciliée avec mon alter-ego : cette blogueuse forte et pleine de vie que j’avais pensé perdre, qui était passée en mode silence-radio, que je croyais être complètement disparu de mon être. C’est elle que mes lecteurs attendent.

Cette pression de devoir produire m’oppressait. Non pas parce que j’avais, justement, une obligation de produire, mais surtout parce que ma blogueuse préférée avait plongé dans le coma.
Elle s’est réveillée aujourd’hui, plus forte qu’auparavant, prête à affronter cette nouvelle année avec tous les défis qui se présentent! Rebonjour Tiasy!

Tiasy
Rebonjour! :3 😀
cc: Natia Tsiky Ranaivoarisoa


Sauvons le Sohisika (Partie 3) – Le making-off !

Récemment, j’ai publié deux articles sur la mauvaise gouvernance dans la conservation du Sohisika à Madagascar. Mais derrière ces deux articles publiés, il y a eu tout un travail, une véritable aventure, vécue entre nervosité, anxiété, fatigue, dégoût et extase. Tout ça pour l’amour du Sohisika.

Pour l’amour du Sohisika

Il était 6 heures et 25 minutes quand mon compagnon Lucas et moi nous avons débarqué à la gare routière à Vassacos, Antananarivo, pour prendre le taxi-brousse qui va à Ankazobe. A peine arrivés, nous avions envie de rentrer. Bruits de moteur, cris de « receveurs » (1), marchands ambulants, insalubrité… Je ne pourrai jamais me faire a cette débandade qui règne dans les gares routières malagasy… Bref…

Nous avons approché un petit hangar qui servait de lieu de vente des tickets et avons demandé :

« Deux places pour Ankazobe !

– Par ici la monnaie ! », a lancé le responsable avec une voix exaspérée. (Il devrait arrêter son boulot, lui !)

Il nous a donné nos tickets et a pointé du doigt un car, type Mercedes-Benz destine à la casse, plein à ras bord…

Comme mon ami et moi on semblait perplexe, il a ajouté « Mbola malalaka be io e ! » pour nous dire qu’il y avait encore beaucoup de places libres.

Lol. Durant tout le voyage, Lucas et moi on a dû supporter le supplice du strapontin, assis entre quatre personnes, des sacoches, des valises, des « gony« (2), sur un trajet de trois heures. Ouf ! Heureusement ça n’a pris que trois heures. A ce rythme, on arriverait peut-être à rentrer tôt a la maison. Peut-être…

Une fois arrive à Ankazobe, nous étions sensés appeler le président de l’association Sohisika qui devait nous amener à la réserve qui se trouvait encore à 30 kilomètres d’Ankazobe. On l’a appelé, il était déjà parti et nous attendait là-bas.

On a du donc y aller tout seuls, en prenant un taxi-brousse qui a mis trois heures à arriver à Ankafobe, car il attendait que le car soit plein, mais aussi, il ne roulait pas à plus de 30 kilomètres a l’heure…

Nous sommes arrivés a la réserve d’Ankafobe vers midi trente. Solofo, le président, nous attendait au siège, très visible sur la RN4 car c’est le seul bâtiment qui se dresse aux alentours, avec une plaque « Réserve d’Ankafobe » à côté.

Sohisika
La réserve d’Ankafobe fait 133 heactares, dont 33 hectares de forêt et 100 de savane et de forêt secondaire.
cc: Tiasy

Apres une séance d’interviews, nous sommes descendus dans la foret. Le stress et l’anxiété a vite laissé place à l’extase. La découverte du Sohisika, l’air pur, la vue de la nature dans toute sa splendeur, le sentiment d’être détachée du monde et de pouvoir admirer en toute sérénité cette merveille en plein cœur d’un désert, ont remis mes émotions à zéro.

J’ai été tellement impressionnée et inspirée que j’ai même tourne une petite vidéo sur les lieux, que vous pouvez voir ci-dessous:

D’autre part, nous étions en très bonne compagnie. Solofole président de l’association Sohisika, et les autres membres de l’association nous ont servi de guides. Ils étaient conviviaux, sympathiques, souriants, et maîtrisaient parfaitement le sujet dont ils parlaient (ils parlaient surtout du Sohisika, évidemment).

Nous avons exploré le fin fond de cette foret inexplorée, qui regroupe jusqu’à présent 200 espèces, selon l’inventaire. Parmi ces 200 espèces, 5 espèces endémiques et 35 oiseaux identifiés. La réserve abrite aussi une pépinière et un lieu de camping.

Nous avons effectué un circuit court qui a duré deux heures environ.

Sohisika
Les guides membres de l’association Sohisika (en arrière-plan), Lucas, et moi, en pleine réserve d’Ankafobe.
cc: Tiasy

Nous sommes repartis vers 15 heures, sur les préventions des guides selon laquelle les derniers taxi-brousses pour Antananarivo, que nous devions prendre à Ankazobe, partaient à 15 heures 30. Nous avons eu un petit pincement au cœur en repartant, après avoir rempli le cahier de souvenirs qu’ils réservaient aux visiteurs de la réserve.

Un retour aux multiples péripéties

Le taxi-brousse qui nous a ramené jusqu’à Ankazobe a été le même que celui qui nous avait amené a la réserve. Presque une heure pour 30 kilomètres, en s’arrêtant tous les kilomètres pour amasser du charbon en « gony« …

Nous sommes arrivés à Ankazobe vers 16 heures. On se serait crus dans une ville morte ! Les marchands avaient quitté leurs étalages, les restaurants avaient fermé leurs portes, le parking où on prenait le taxi-brousse était vide… Seuls quelques hommes, les yeux rouges, le regard hagard, plus ou moins dévêtus, une bouteille d’alcool à la main, étaient assis devant les kiosques sensés distribuer les tickets. Ils disaient qu’il n’y aurait plus de cars avant le lendemain matin, et qu’on ferait aussi bien mieux de trouver un hôtel où s’installer. Je me suis crue dans un film d’horreur…

Ankazobe ne m’inspirait nullement confiance. Avec cet air de ville-fantôme comme dans les westerns, j’avais l’impression que le lendemain n’arriverait jamais…

Mais nous n’étions pas seuls à attendre un car. Les passagers du bus dans lequel nous étions devaient aussi partir pour Tana. D’autres personnes, qui visiblement étaient déjà au parking avant nous, attendaient aussi. Malgré les affirmations des hommes ci-dessus, nous ne voulions pas accepter l’évidence. Il devait bien y avoir un car quelque part.

Au bout de quinze minutes d’attente, un des hommes qui nous avaient parlé plus tôt est venu vers nous.

« Vous partez pour Tana ?

– Oui !

– On peut trouver un car pour vous… Mais vous devez payer 30 000 Ariary (environ 8 euros, près de 9 fois le prix normal) ! »

Lucas et moi on s’est regardés. Quelle horreur, ces gens ! Alors c’est ça leur technique ? S’assurer que les voyageurs sont à l’agonie pour faire apparaître un véhicule ! Ry Malagasy namako, fa dia nahoana ? (3)

Une femme, qui attendait aussi, avait entendu. Elle est venue à notre encontre :

« 30 000 Ariary ? » lança-t-elle.

L’homme acquiesça, une cigarette a la bouche.

« Ok ! Je peux même payer tout le car pour moi toute seule si vous voulez ! Je veux juste rentrer ! », fit-elle.

J’ai compté mes sous dans ma tête puis j’ai regardé mon copain, qui opina du chef.

« OK ! » lançai-je.

L’homme est reparti vers ses amis. Ils discutèrent pendant quelques secondes, puis il traversa la rue en nous lançant qu’il allait récupérer un car. Nous nous sommes sentis un peu mieux.

La dame nous a dit qu’au pire des cas, des taxi-brousses venant de Majunga pouvaient aussi s’arrêter et nous prendre… Mais tous les taxi-brousses qui passaient étaient plein à ras bord ; il était 16 heures 30.

Apres 10 minutes, l’homme est revenu. Il nous a dit en pouffant de rire qu’il n’y avait pas de voiture…

Il s’est rassis devant le kiosque de tickets.

Un autre homme, toujours des leurs, nous a approché à son tour.

« On peut faire un auto-stop pour vous si vous ‘mametraka kely’ ! » (4)

Ah, le « mametraka kely« , le début de toute une chaîne de corruption… C’est dégueulasse…

Mais ici, il s’agissait plus d’un échange de services. Le terme étant utilisé malproprement.

Il a fait plusieurs auto-stop avant qu’un homme conduisant un 4×4 Galloper ne finisse par s’arrêter. Prix du trajet : 10 000 Ariary par personne, et 5 000 Ariary pour l’homme qui a fait de l’auto-stop.

Il était 17 heures 25, nous allions enfin partir pour Tana, avec la femme à nos côtés et un homme avec elle, son homme-à-tout-faire, d’après ses explications.

La nuit tombait, on ne pouvait pas rouler très vite malgré la puissance du Galloper qui roulait à 70 kilomètres à l’heure. 100 kilomètres à l’heure si la route était mieux entretenue et s’il faisait jour, racontait le chauffeur.

Avec les embouteillages dès qu’on arrivait à Ambohidratrimo, à environ 15 kilomètres d’Antananarivo, nous ne sommes arrivés en plein cœur d’Antananarivo que vers 19 heures 30.

Le chauffeur, qui rentrait à Itaosy, à l’ouest de la Capitale, nous a déposés en centre-ville. Nous l’avons remercié, mais on a dû attendre encore 15 minutes pour avoir un bus et rentrer chez nous, à l’est de la Capitale.

Nous sommes arrivés chez nous vers 20 heures 15, complètement exténués mais aussi soulagés et très contents d’avoir découvert ce petit bout de paradis qu’est la réserve d’Ankafobe !

 

(1) receveur: aide-chauffeur dans les transports en commun, plus destinés à recevoir les frais de transport qui se paient en espèces et à crier dans les arrêts-bus
(2) « gony« : sorte de gros sac tissé utilisé par les commerçants pour y stocker leurs produits, notamment le riz, le sucre, le sel, le manioc, le charbon…
(3) « Cher Malagasy, pourquoi ? »
(4)« mametraka kely »: expression familière pour dire « donner de l’argent! ».


Sauvons le Sohisika ! (Partie 2)

La conservation de l’arbre endémique Sohisika à Madagascar est entravée par des problématiques politiques, en particulier par une mauvaise gouvernance qui empêche le bon déroulement des activités de conservation de cette espèce. ONGs, société civile, techniciens employés des réserves naturelles, responsables étatiques, tous unissent leur voix pour dénoncer un manque de contrôle, malgré les stratégies adoptées par les autorités étatiques.

Collaboration étatique

Le Missouri Botanical Garden (MBG) est le partenaire principal de l’association Sohisika dans la conservation de l’arbre endémique Sohisika.

« MBG est partenaire de l’association dans différents domaines : conservation, sensibilisation, restauration écologique des zones dégradées, plantations, valorisation de la forêt pour les visiteurs mais aussi dans l’amélioration des moyens de subsistance des villageois par la formation en « Dynamic agroforesterie » dans leurs champs de cultures », a-t-on appris de la MBG lors d’une interview.

La MBG collabore également avec l’Etat, ils sont en lien avec le ministère de l’Environnement, de l’Ecologie et des Forêts mais aussi avec le Chef Cantonnement (Ceef) Ankazobe, représentant de la Direction régionale de l’Environnement, de l’Ecologie et des Forêts (Dreef) à Ankazobe,  et la Commune Ankazobe.
Selon le Code de gestion des aires protégées (COAP), dans le cadre de la création de la nouvelle Aire protégée Ankafobe, l’Etat sera le délégant et MBG sera le délégataire.

Dépendance et manque de moyens

D’après Jean-Jacques Solofonirina, Président de l’association Sohisika, la collaboration de l’association avec l’Etat est d’ordre purement technique et administrative.

Cette collaboration très distante crée une situation insatisfaisante pour les acteurs de la défense des espèces endémiques tel que le Sohisika, car les responsables étatiques ne sont pas toujours au courant des réalités sur le terrain. D’ailleurs, les techniciens des institutions étatiques qui travaillent dans le domaine environnemental disent eux-mêmes que l’Etat suit l’activité des ONGs présentes sur les lieux, sans être eux-mêmes sur place. La réalité c’est donc que les agents de l’Etat sont absents du terrain, ils se contentent d’un suivi à distance.

Selon le contrat de transfert de gestion (1) établi entre l’association, la Dreef Analamanga et la Commune Ankazobe, il revient aux agents de la Dreef d’effectuer le suivi des activités une fois par an.

Mais ce suivi annuel n’est pas suffisant, notamment dans le cas de la conservation du Sohisika, qui représente un véritable problème environnemental. Pour qui connait le dossier il y a urgence. Les recommandations du contrat de transfert de gestion ne sont donc pas en phase avec les besoins. Malheureusement, assurer un suivi sur terrain plus important (et donc plus fréquent) n’est pas évident pour les agents étatiques, et ceci, faute de moyens matériels et de ressources humaines, comme l’a avoué un technicien au sein du ministère.

D’après les aveux de ce technicien, les moyens alloués par l’Etat à la Dreef sont insuffisants. Mais il ne s’agit pas d’un manque de moyens financiers, le problème n’est pas là.

« Ce n’est pas que l’on n’a pas d’argent, c’est la volonté politique qui manque. Et cela se répercute sur toutes nos activités », a raconté ce fonctionnaire qui a souhaité conserver l’anonymat.

Sohisika
Le feuillage du Sohisika est abondant et peut servir de parasol naturel.
cc: Tiasy

Manque de contrôle et de volonté de l’Etat

La conservation de l’arbre endémique Sohisika à Madagascar fait donc face à un problème politique. Comme le dénonce un responsable au sein du village d’Andranofeno – village avoisinant la réserve d’Ankafobe et qui participe aux actions de conservation au sein de l’association Sohisika – l’Etat ne semble pas apporter une grande importance à la lutte contre les feux de brousse, au problème de la coupe illicite, aux suivis en matière de respect des lois ou encore aux suivi des « Dina »(2). Acteurs, militants… tous ceux qui oeuvrent à la sauvegarde du Sohisika font donc face à un manque criant de volonté politique, qui nuit à la bonne protection du bois.  De façon logique, ce manque de volonté de l’Etat se répercute sur la conservation du Sohisika.

Depuis l’instauration du « Dina » dans  les années 2005, pas un seul pyromane n’a été « attrapé ». D’après un habitant d’Ankazobe, le Fokontany refuse de les attraper car ce sont des « gens du village », « Fihavanana (3) oblige », a ajouté Jean-Jacques Solofonirina, Président de l’association Sohisika. Le « Fihavanana » protège les malfrats environnants, ils savent que, non seulement ils ne se feront pas prendre, mais qu’en plus ils finiront par se faire pardonner.

Sohisika
Des « aroafo » ou protection contre les feux, mis en place par les techniciens de l’association Sohisika.
cc: Tiasy
sohisika
La coupe illicite a laissé des traces dans la réserve d’Ankafobe. Ci-dessus, un arbre coupé avant la création de la réserve en 2005.
cc: Tiasy

Quant au gouvernement, il ne souhaite pas intervenir car cette situation est sans grande importance à ses yeux. Ce que le gouvernement considère comme des « petits délits » sont pourtant à l’origine de la dégradation de tout un écosystème !

Cette situation est d’autant plus étonnante quand on sait qu’il existe un cadre légal qui régit la conservation des ressources naturelles à Madagascar, et pas des moindres : Politique forestière, textes sur la Gestion locale des Ressources Naturelles Renouvelables du 10 septembre 1996, textes sur la Gestion Contractualisée des Forêts de l’Etat du 14 février 2001, le COAP.

Des lois bien écrites sur le papier, mais peu appliquées dans la réalité.

On constate que certains textes sont relativement récents, une prise de conscience politique a donc eu lieu, mais visiblement sans aucun effets.

Selon Nanie Ratsifandrihamanana, Directrice du Fonds mondial pour la nature ou WWF à Madagascar « la mise en application du cadre légal est LA  faiblesse dans la conservation des ressources naturelles. Aussi, ce qui manque, c’est une réglementation plus moderne et plus à jour pour les secteurs forestiers productifs. Le manque de continuité des activités est également un problème : après la crise politique de 2009, des projets qui avaient bien avancé n’ont pas bien repris jusqu’à maintenant ».

A Madagascar, le WWF est une des principales ONGs qui travaille avec l’Etat pour la conservation des ressources naturelles. La conservation du bois précieux est une des principales branches dans laquelle l’organisation collabore avec l’Etat et la société civile.

Manque de transparence budgétaire

Sur le plan financier, le doute plane. Que ce soit en matière de conservation du Sohisika ou en matière de conservation des ressources forestières, les chiffres dédiés à ces sujets demeurent flous, tout comme les procédures pour le déblocage de fonds, essentiellement originaires des ONGs.

La Direction régionale de l’Environnement, de l’Ecologie et des Forêts de la région Analamanga tente d’apporter des éclaircissements :

« Il n’existe pas de ligne budgétaire allouée à la Dreef Analamanga pour la conservation du Sohisika à Ankafobe. En ce qui concerne la protection des ressources forestières, la DREEF Analamanga dispose de deux lignes :

–          le PIP (Programme d’Investissement Public), budget alloué par l’Etat destiné à des opérations courantes et d’investissement constitué par des ressources propres de l’Etat ;

–          le budget AFARB (Action en Faveur de l’ARBre) alimenté essentiellement par les recettes générées par les redevances sur les produits forestiers ligneux et les produits forestiers non ligneux »,

a clarifié la Direction.

Il faut aussi préciser que toutes les opérations financières de ces budgets s’effectuent au niveau de la Trésorerie Ministérielle et ce, conformément aux procédures de la gestion des finances publiques.

La Dreef a également insisté sur le fait qu’il fallait « être prudent et veiller à ne pas faire double emploi avec certaines associations, car la Missouri Botanical Garden (MBG) finance déjà cette activité». C’est ainsi que la Dreef justifie sa position et son action : la non-ingérence du ministère dans les activités de l’association Sohisika en général.

L’Etat malagasy se cantonne donc à un rôle de délégant. Cette attitude apparaît pour le peu laxiste quant à la question de la conservation de l’arbre endémique Sohisika à Madagascar, une attitude qui est un véritable handicap à la bonne gestion d’un écosystème déjà menacé d’extinction.

Il y a pourtant un enjeu important, le Sohisika représente un gros potentiel économique pour l’île : il fait partie des destinations touristiques de la Route nationale 4, les visiteurs sont nombreux chaque année, parmi eux des étudiants et des chercheurs venant de l’étranger, des Etats-Unis en particulier.

La réserve d’Ankafobe fait ainsi partie des sources de revenu de la Commune Ankazobe. Malheureusement, elle demeure peu connue des nationaux ainsi que des étrangers. Le manque de considération de l’Etat n’arrange rien à cette situation. Au final, les villageois essaient tant bien que mal de conserver ce patrimoine d’une immense valeur en espérant qu’à l’avenir ils verront une meilleure implication des autorités étatiques.

(1) Le contrat de transfert de gestion établi entre le VOI, la DREEF Analamanga et la Commune Ankazobe comporte les éléments suivants :

–          Le Contrat en lui-même

–          Le Cahier de charges qui stipule les rôles et responsabilités des parties contractantes

–          Le Plan d’aménagement qui prescrit les activités afférentes.

(2) « Dina »: système de paiement d’amende mis en place par les Fokontany, communauté de base à l’échelle administrative, chargée de prendre en charge les affaires administratives dans une petielocalité délimitée au préalable

(3)   « Fihavanana » : valeur culturelle malagasy, principe de base dans la vie de société malagasy, mettant en avant l’entraide et la solidarité en toutes circonstances


Sauvons le Sohisika ! (Partie 1)

Le combat pour la conservation du Sohisika dure depuis treize ans et cela continue encore aujourd’hui… Sohisika, ou Schizolaena tampoketsana, l’arbre endémique qui pousse à Madagascar, plus précisément à Ankazobe, à l’Ouest de la Grande île, sur la Route nationale 4, dans la région de l’Analamanga. Le Sohisika, c’est un spécimen insolite de la nature qui se réfugie dans la réserve d’Ankafobe, où il est protégé, car il est actuellement en voie de disparition, cet arbre fait d’ailleurs partie de la liste rouge de l’IUCN Red List of Threatened Species.

Sohisika
La réserve d’Ankafobe est située au Nord-Ouest de Madagascar, à l’extrémité Nord de la région Analamanga, à plus de 100 kilomètres de la capitale, Antananarivo.
cc: Réalisé avec Google Map

Le Dieu Sohisika, menacé d’extinction

Plus de 10 mètres de long, feuillage abondant, solitaire, il se distingue par sa manie de s’enraciner sur des sols instables, des sols secs, pleins de trous, à peine entourés de verdure. Le Sohisika fait partie des espèces endémiques de Madagascar et des espèces emblématiques de la région Analamanga, selon la classification du ministère de l’Environnement, de l’écologie et des forêts. On compte 203 pieds de Sohisaka dans la réserve d’Ankafobe, ce sont les derniers survivants des feux de brousse et de la coupe illicite.

Sohisika
Le feuillage du Sohisika est abondant et peut servir de parasol naturel.
cc: Tiasy
Sohisika
Le Sohisika pousse dans des terres instables : sec, plein de trous, à peine entouré de verdures.
cc: Tiasy

Les feux de brousse et la coupe illicite des bois précieux font partie des causes principales de la déforestation à Madagascar. La déforestation dans la Grande île est devenue une problématique nationale, ce sujet fait aujourd’hui partie des priorités de l’Etat malagasy.

Le bois constitue une des ressources naturelles les plus abondantes à Madagascar, c’est donc un élément essentiel de l’économie. Mais, aujourd’hui, cette ressource est sur le point de disparaître à cause d’une exploitation forestière à grande échelle. Cette exploitation est faite par de grandes sociétés, nationales et internationales, mais aussi par des particuliers, de plus, elle est souvent illégale. Les particuliers exploitent le bois pour en faire du charbon ou pour réaliser des trafics, ou encore, ils le brûle pour pratiquer le « tavy ». Le « tavy » est une forme de culture-sur-brûlis, une pratique utilisée en agriculture à Madagascar pour convertir la forêt tropicale en rizières, qui consiste à couper et à brûler le bois avant d’y planter du riz. Après un à deux ans de production, la surface est laissée au repos pendant quatre à six ans, le procédé est répété une à trois fois. Au bout du cycle, les nutriments du sol s’épuisent et la terre est envahie par de l’herbe.

Le « tavy » est une tradition très suivie dans la localité d’Ankafobe où on ne trouve de forêt que dans la réserve protégée.

Réserve d’Ankafobe

La réserve d’Ankafobe est peu étendue, sa surface est de 133 hectares (33 hectares de forêt et 100 hectares de savane et de forêt secondaire). Malgré cela, elle abrite une large colonie d’espèces rares(1). Selon le dernier inventaire, on compte actuellement plus de 200 espèces rares, dont 5 espèces endémiques(2).

Malgré sa petite taille, cette réserve abrite des lémuriens : primate endémique et emblématique de la région de Madagascar (comme on en trouve dans le long-métrage « Madagascar » à travers le personnage de King Julian).

Sohisika
Un lémurien de Madagascar.
cc: Pixabay

La réserve accueille environ 30 groupes de visiteurs par an, notamment des étudiants et des chercheurs. Les responsables proposent des visites avec plusieurs circuits possibles, on peut aussi faire du camping.

Pour l’amour du Sohisika : rouge-sang, rouge-flammes

A Ankafobe, les nuits sont longues. Il est 23 heures, Jean-Claude, les yeux lourds, sort du lit. Il se lève, sa main tâtonne au hasard pour attraper ses jumelles, son outil de travail principal. Jean-Claude est patrouilleur au sein de l’association Sohisika – auparavant dénommée VOI Sohisika ou Vondron’olona ifotony Sohisika(3), il est responsable de la surveillance des feux de brousse.

Chaque nuit, avec ses deux collègues patrouilleurs, ils se réveillent pour faire le guet. Ils prennent le soin de régler l’alarme de leur téléphone portable à la bonne heure. Toutes les heures, à tour de rôle. Ce soir, c’est au tour de Jean-Claude, il se réveille pour observer la nature à travers ses grosses jumelles. Sa mission : vérifier qu’aucun feu ne s’est déclenché dans les alentours.

Sohisika
Les responsables de l’association Sohisika (de gauche à droite): Solofo, le président ; Haja, le pépiniériste ; Ando, secrétaire général ; Jean-Claude, patrouilleur.
cc: Lucas Rakotomalala

Il prend donc ses jumelles et guette le voisinage. Tout semble normal… Tiens, une petite lueur orange semble danser dans le noir, à quelques mètres de la maison. Jean-Claude plisse les yeux. Un feu se serait-il déclenché ? Battements de cœur. Il regarde de plus près, attentivement. La lumière reste la même, elle semble s’éclaircir puis s’affaiblir, mais elle ne se meut pas… Ah, c’est juste la bougie qui éclaire la maison des voisins, en contre-bas. Ouf !

Pour l’amour du Sohisika, chaque nuit, Jean-Claude et ses deux amis patrouilleurs doivent donc subir ces moments de doute, qui créent à chaque fois un peu de tachycardie. Leur travail semble à priori simple, mais il exige en réalité une attention à toute épreuve et des nerfs d’acier.

« Nous travaillons dix jours par mois, car nous sommes trois. Nous commençons à sept heures et nous travaillons jusqu’à dix-sept heures. Nous utilisons des jumelles, un téléphone et un sifflet. En cas de feux de brousse, nous appelons immédiatement le Président de l’association et les autorités locales. Nous sifflons aussi pour alerter le voisinage », explique Jean-Claude.

Combat contre les feux de brousse

A Ankazobe, pour lutter contre un feu, il vaut mieux se situer en hauteur (c’est-à-dire sur la route, car la forêt se trouve à plus de dix mètres au-dessous).

« D’abord on ne capte pas le réseau en bas, en plus on accède plus vite au bureau (cqfd : le bureau de l’association Sohisika se trouve près de la route), ce qui est important car c’est là-bas que se trouvent les sacs à eau et les arrosoirs », explique Jean-Claude.

Dans cette localité de l’île, comme dans tout coin éloigné de la capitale, les pompiers ne sont pas encore installés, rien n’est prévu pour lutter contre les feux. Deux raisons expliquent cet état de fait : il n’y a pas de moyens de transport à disposition – le dernier taxi-brousse passe à quinze heures – et la sécurité n’est pas fiable. Les villageois luttent donc seuls contre les feux de brousse, et cela presque tout au long de l’année.

Selon Ando, Secrétaire général de l’association Sohisika, « il n’y a pas de saison pour les feux de brousse, il y en a presque toujours… Cela est avant tout dû à une coutume locale, car la plupart des habitants de la région pratiquent le « tavy ». Par ailleurs, le climat ici ne permet pas de maîtriser le feu. C’est sec, et il y a souvent du vent, les flammes se propagent donc malheureusement très vite ».

Sohisika
Les matériels de secours utilisés en cas de feux de brousse.
cc: Lucas Rakotomalala

Intégration de la communauté locale

Ankafobe est connue pour ses feux de brousse depuis plusieurs années. Dès 2012, des mesures ont été prises par le gouvernement pour lutter contre les feux de brousse : la mise en place du « dina » dans les Fokontany(4), obligeant tout individu « attrapé » pour avoir mis le feu ou coupé un bois illicitement à payer une amende. Autre mesure prise : la mise en place de brigades de contrôles au sein des forces de l’ordre.

D’après le document réalisé par l’Alliance Voahary Gasy (AVG) sur l’état des lieux de la gouvernance forestière à Madagascar en 2012, le gouvernement possède des stratégies pour faire appliquer la loi, tant au niveau régional que national. L’intégration de la société civile et de la communauté locale dans la lutte contre les feux de brousse ou encore dans le contrôle d’exploitation est un des éléments principaux de cette stratégie.

« Pour cette raison, un élément important de la méthode utilisée est de faire participer un grand nombre de représentants d’intérêts divers: des exploitants, des représentants d’associations et ONG, des représentants de communautés de base, de l’administration forestière et d’autres administrations concernées par la forêt, comme la Justice, le Foncier, les Forces de l’ordre public, les Douanes, etc. », cite le document.

Malgré ces stratégies, des lacunes subsistent dans la protection et la conservation du Sohisika. Les autorités gouvernementales sont mises en cause, le ministère de l’Environnement, de l’écologie et des forêts en particulier.

A suivre…

(1) espèce rare : en écologie, espèce qui ne pousse et ne vit que dans des zones spéciales (par exemple : sèches et chaudes), et que l’on ne trouve que dans des zones possédant ces caractéristiques

(2) espèce endémique : en écologie, espèce qui ne pousse et ne vit que dans une localité bien déterminée sur la planète entière (dans le cas présenté ici, seulement à Ankafobe)

(3) Vondron’olona Ifotony Sohisika : communauté locale responsable de la protection du Sohisika à Ankafobe.
L’association Sohisika est devenue une association en décembre 2017, suite à la demande de la Missouri Botanical Garden, ONG partenaire de l’association. elle est liée à la Direction régionale de l’Environnement, de l’écologie et des forêts, issue du ministère de l’environnement, son objectif : protéger les Sohisika.

(4) Fokontany : à l’origine, village malagasy traditionnel. Actuellement, communauté de base à l’échelle administrative, chargée de prendre en charge les affaires administratives dans une petite localité délimitée au préalable


SOS ! Je suis malagasy et je cherche des ailes à acheter !

Avis. Urgent ! Jeune femme malagasy d’Antananarivo, Madagascar, recherche des ailes à acheter. Etat 9/10. « Made in n’importe où » tant que cela est fonctionnel. De n’importe quelle couleur sauf jaune (je n’aime pas le jaune !)

Oui, vous l’aurez compris, je veux acheter des ailes ! Voici pourquoi :

Pourquoi je veux des ailes ?

Nous sommes le 25 juin, veille de la Fête de l’Indépendance à Madagascar. Contrairement aux autres années, cette fois-ci la Fête de l’Indépendance s’annonce bien discrète. Il est 14 heures, je suis à Betongolo, un quartier de l’Est de la capitale, près du centre-ville. Dans la rue, les passants ont un air renfrogné rien qu’à l’idée de devoir acheter le kilo du riz à 1 700 Ariary , soit environ 0,44 Euro. Peu de sourires dans les rues alors que ce soir tous pourront admirer les feux d’artifice, mais en ont-ils seulement envie ? D’ailleurs, les gens pensent plus à regarder le football à la télévision  qu’à aller admirer le fameux feu d’artifice que l’on regarde chaaaaaaaaque année depuis 60 ans tous les 25 juin à 19 heures. C’est devenu teeeeeeellement habituel…

Et oui, je résume ici en quelques lignes à quel point l’atmosphère est devenue morose – et le mot est faible – à Madagascar. On souhaiterait bien que cela change, sauf qu’on ne voit même plus comment. Ou plutôt si ! Moi je sais ! En m’achetant des ailes ! A quoi cela va-t-il servir, me demandez-vous ?

Je ne veux plus sortir de chez moi – ni la plupart des malagasy d’ailleurs – sauf si j’y suis obligée. Genre vraiment vraiment vraiment obligée ! Parce-que je ne ne veux pas passer trois heures dans les embouteillages !

Rouler en moto, dites-vous ? Les rues d’Antananarivo sont tellement serrées que les motos roulent sur les trottoirs ! (Je ne plaisante pas, c’est bel et bien le cas !)

Marcher dites-vous ? Les trottoirs sont envahis, comme je l’ai dit, par les motos, mais aussi par les voitures et les marchands de rues !

A tout cela s’ajoute l’insécurité qui fait que je peux me faire voler mon sac dans ma voiture, dans le bus, et même en pleine rue en marchant, sous le regard incrédule des passants.

C’est pourquoi je pense que peut-être avec des ailes, je pourrai à la fois éviter les embouteillages, les voitures, les motos, les marchands de rues, les pickpockets… Car c’est dans ce stress constant que je vis, que les malagasy vivent.

Quelle indépendance ?

indépendance de Madagascar
Le feu d’artifice pour marquer la Fête de l’Indépendance à Madagascar a lieu tous les 25 juin de l’année à 19 heures, heure locale.  cc: Tiasy

Je me disais aussi que peut-être, avec des ailes, les malagasy pourraient devenir « réellement » indépendants. Cela fait 58 ans que nous avons obtenu notre indépendance, et chaque année on se sent toujours plus dépendants de quelque chose ; peut-être pas des anciens colonisateurs, mais d’autres phénomènes.

Dépendants des embouteillages, dépendants de l’inflation, dépendants de notre voisin, dépendant du prêtre, dépendants du pasteur, dépendants de la Communauté internationale, dépendants des aides extérieures… Et même pire : dépendants de cette indifférence et de cette  incrédulité face à tout ce qui se passe dans le pays. De tout cela d’ailleurs, la dépendance à l’indifférence est la pire de toute.

C’est dans la tête que cela se passe. Une fois conscient de cette dépendance à l’indifférence, nous pourrons peut-être enfin commencer à faire quelque chose de notre pays.