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Chester Bennington: mobilisation hardcore des fans malagasy

Ma page d’accueil Facebook est remplie de photos de fond noir, de photos d’un homme avec plusieurs boucles d’oreille, tatoué, le micro à la main… Je peux voir des « Rest In Peace » défiler sur ma page d’accueil… Ca me prendra trois secondes pour comprendre que Chester Bennington est parti, un jeudi 20  juillet 2017.

Mobilisation hardcore des jeunes fans malagasy

Je n’ai jamais vu ça de ma vie! Ce fut à la fois la chose la plus merveilleuse et triste que je n’ai jamais vu sur Facebook. Pluie de déclarations et d’hommages suite à l’annonce de la mort du chanteur Chester Bennington,  lead vocal du groupe de rock culte Linkin Park. Tous mes amis, qui sont pour la plupart de la génération 90, avec  une minorité moins et plus âgée,  viennent de publier leur tristesse quand à la mort du chanteur. Des amis avec qui je n’étais pas vraiment proches. De même pour mes meilleurs amis. Un sentiment hardcore de lien, de fraternité a émergé alors que je réagissais « triste » à chaque statut. Et d’ailleurs, la réaction « triste » ne suffisait plus. Il me faudrait un nouvel émoticone genre « bouleversé », « meurtrie », « brisée »…  En quelques minutes, ma page d’accueil est submergée de photos de cet illustre chanteur et de « RIP ». Sur la page officielle du groupe, j’ai pu entrevoir les commentaires des fans malagasy entre les commentaires d’utilisateurs Facebook d’autres nationalités. Tous se déclarent meurtris du suicide de Chester Bennington. La peine se fait sentir à un tel point que c’est difficile de contenir mes larmes…

– 🙁 Tu es une fan de LP n’est-ce pas?
– Oui… je suis déja au courant. J’ai le coeur brisé.

 

Hommage et multigénération

Est-ce que Facebook n’a jamais autant affecté auparavant, à Madagascar?… Même la mort de musiciens malagasy n’a été aussi pleurée. En même temps, les anciens « andrarezina » sont morts quand Facebook n’était pas encore assez populaire, et les nouveaux « andrarezina » sont encore tous en vie. Ce qui m’a étonné, c’est que la musique de Linkin Park ait  bercé autant de générations à Madagascar. J’ai ainsi pu lire le statut de mon présentateur TV préféré, Rija Tahiana, qui a annoncé sa grande désolation à la découverte de la nouvelle. Blanc, le batteur du groupe de pop rock malagasy culte Ambondrona, a troqué sa photo contre une photo de Chester sur scène, en osmose avc son public. J’écoutais Linkin Park depuis l’âge de 13 ans. Je faisais partie de cette génération « painky »(1) comme ils disent, mais j’en suis fière.  J’écoutais entre autres Linkin Park, Simple Plan, Avril Lavigne, Hinder, Kyo, et aussi Ambondrona, Michael Jackson, Olombelo Ricky, Mahaleo, Hilary Duff et plusieurs autres groupes d’autres genres. J’aimais le rock mais j’aimais aussi les autres genres. J’étais en classe de quatrième, et le titre « Numb » passait en boucle dans mon MP3.

Une identification à la musique

Chester Bennington était une icone musicale du rock. ©Linkin Park

Je me retrouvais dans la musique de Linkin Park. Car dans un pays meurtri par la haine, la corruption, et où les valeurs culturelles ont été troquées contre l’argent, ce genre de musique me permettait de me sentir comprise et moins seule. Une vision que des milliers de jeunes de l’époque partageaient, et c’est une des raisons pour laquelle l’immobilisation avait pris une telle ampleur. D’ailleurs, des fans s’identifiaient eux-mêmes à la musique et aux paroles. Des paroles qui reflétaient une jeunesse perdue, ici comme dans le monde. Perdu, peut-être à première vue dans un sens affectif, mais aussi émotionnellement, socialement et politiquement. D’ailleurs, les jeunes malagasy ont réagi plus vite à l’annonce du décès du chanteur qu’à tout évènement politique – qui leur désintéresse totalement d’ailleurs! Comme quoi, nous nous identifions plus à une icone musicale qui saura porter nos paroles et nos sentiments qu’à des politiciens qui ne savent même pas ce dont nous avons besoin.  Cela est valable à la fois pour les icônes musicales malagasy qu’étrangères.

(1)painky: surnom péjoratif pour nominer la musique « punk » à Madagascar


Madagascar : Liberté d’expression, paix à ton âme !

Je suis dégoûtée! Au vingt-et-unième siècle, je vis dans un pays où dire ce que l’on pense et se faire apprécier pour cela est devenu un crime. Hier, en lisant le journal, j’ai tout simplement compris qu’il n’y plus rien à espérer de ce pays, de ce Gouvernement… Non, car même parler, qui est votre liberté la plus stricte, liberté que même le grand Dieu ne vous a pas enlevé, vient d’être piétinée. Liberté d’expression, paix à ton âme !

La parodie devient un crime…

Silence-radio jusqu’au moment où j’écris… Barry Benson est jusqu’à présent en fuite, tel un évadé de prison ! Ce fut avant-hier matin. Barry Benson, présentateur de l’émission « Tsy mahaleo ny sampona »(1), parodié de l’émission du Président de la République « Fotoam-bita »(2), a pris la fuite après avoir dormi chez un ami. En effet, il a su que cinq personnes en tenue civile ont voulu le prendre de force chez lui, ce matin-même. Seulement comme il n’était pas là, c’est sa mère qu’ils ont emmené ! On ignore encore ce que ces personnes veulent faire de sa mère. Il faut rappeler que cette émission est produite par le Mouvement pour la Liberté d’Expression (MLE). Un mouvement né en 2016 à Madagascar suite à la décision du Gouvernement d’adopter le nouveau Code de la Communication ! Un horrible Code, si je peux me permettre ! Qui entrave à la liberté d’expression sur tous les plans : médias, utilisateurs Facebook, groupes Facebook… Un Code qui est utilisé pour TERRORISER la communauté et l’empêcher de parler librement ! Notre Daesh, car ici, la psychose est devenue tellement grandiose que même faire un statut politique sur Facebook terrifie les internautes… Mais ils ont quand même « liké » la page Facebook de l’émission parodiée. Cette page a atteint les 1549 j’aime juste en une émission. Et c’est ce que des entités n’ont pas supporté… Voilà. Faire de la parodie est devenu un crime…

La marche du Mouvement pour la Liberté d’Expression le 12 juillet 2016 dernier à Ankorondrano, Antananarivo, Madagascar. © Tiasy

Paix à ton âme !

Nous ne pourrons plus nous plaindre. Nous ne pourrons plus exprimer nos idées. Nous ne nous pourrons plus « liker » les pages qui pourraient véhiculer des idées contraire à ce que veulent certaines entités… Oui. Que vont-ils advenir des autres parodies ? « Vaovao adaladala »(3) sur Radio Don Bosco(4), « Tontakely »(5) sur RTA, et toutes ces autres émissions qui parodient des personnalités publiques semblables aux les Guignols de l’Info et ces autres émissions parodiques étrangères. Ou est-ce que ces émissions sont inoffensives ?

Les forces de l’ordre avaient barré la route aux partisans du MLE à Ankorondrano, ce 12 juillet même. © Tiasy

Elles sont différentes parce qu’elles disent parfois des faits crus sur un ton humoristique, tandis que « Tsy mahaleo ny sampona » s’avère plus sérieux… C’est ce que j’ai entendu dire quelque part. En tout cas, le monde de l’expression est endeuillé, mais aussi terrorisé. Et bientôt toute forme d’humour de ce genre ne sera plus permise dans ce pays… Avec ça, nous reculons plusieurs décennies en arrière. Et nous nous enfonçons encore plus dans un gouffre sans fond car un pays sans voix de l’expression n’avance pas… Ce qui me laisse un goût amer dans la bouche car en tant que journaliste, j’y croyais, à cette lutte pour une liberté d’expression! J’y croyais vraiment… C’est presque la seule chose à laquelle je croyais à un moment donné, tellement mon pays est dévasté. Je vais creuser une tombe et réserver à l’avance des jours pour les funérailles de notre chère liberté d’expression. Mandria am-piadanana !(6)

(1)« Tsy mahaleo ny sampona » : littéralement, cette expression malagasy signifie « ne peut contrer les bizarreries »
(2)« fotoam-bita » : « rendez-vous »
(3)« Vaovao adaladala » : « de folles nouvelles »
(4)Radio Don Bosco : nom de la plus célèbre radio catholique à Madagascar
(5)« Tontakely » : « petites gens »
(6)« Mandria am-piadanana » : « Paix à ton âme » en malagasy.


Au secours, Madagascar recrute d’urgence un Président !

« Offre d’emploi. Pour redresser son système, Madagascar recrute d’urgence un nouveau Président. Si vous correspondez aux critères énumérés ci-dessous, veuillez envoyer un e-mail à l’adresse « etsionrecrutaitunpresidentpourmadagascar@ironie.com ».

« Avec lui c’était mieux! »

Cette inspiration sur l’offre d’emploi pour recruter d’urgence un Président m’est venue alors que je regardais les infos à la télé, samedi soir. L’ancien Président de la République de Madagascar Président, Marc Ravalomanana, a en effet voulu faire une démonstration de force au pouvoir actuel, qui est sous le contrôle de Hery Rajaonarimampianina. Ravalomanana a ainsi voulu fêter le quinzième anniversaire de son parti politique TIM (Tiako I Madagasikara) dans le grand stade de Mahamasina, mais le pouvoir l’en a empêché et a refusé de lui en donner la permission. D’où une fête qui s’est vite transformée en grande manifestation, car les partisans de Ravalomanana et lui-même ont décidé d’assaillir la Place du 13 mai à Analakely.

Antananarivo, la Capitale de Madagascar, vue panoramique de Faravohitra. © Tiasy

Donc malgré ses nombreuses fraudes durant sa gouvernance au pouvoir, les Malagasy sont prêts à remettre Ravalomanana au pouvoir parce qu' »avec lui c’était mieux ». Tel est le raisonnement de la plupart des Malagasy. Tel est le critère pour qu’un ancien politicien reprenne les rennes du pays, parce qu’avec lui c’était mieux… Ok, et qui nous dit qu’une fois au pouvoir, tout sera tout simplement comme avant il y a 15 ans de cela? Est-on sûrs que reprendre le même cheval qui nous a fait tomber et piétiné durant la course pourra nous reconduire à la victoire, cette fois? Je vous propose un nouveau profil. Nous allons recruter un nouveau Président!

Profil recherché pour le nouveau Président

Attention, ce paragraphe est à prendre au quinzième degré! …

RECRUTEMENT: PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE DE MADAGASCAR

Profil requis:  

– Ayant fait des études politiques, niveau Master ou Doctorat

– Ayant fait de la politique, dans le sens où le candidat / la candidate a manifesté un bon engagement communautaire et humanitaire (genre Père Pédro), une intelligence au-delà de la normale avec un coeur en or (genre le boss dans les séries policières), un amour de la patrie quitte à s’opposer à tous ceux qui veulent juste profiter de cette patrie (genre Donald Trump), un homme dont la femme serait une conseillère, une amie, une dame de coeur (genre Michelle Obama), un homme / une femme encore vierge en matière de corruption (ça existe?!)

– une personne avec des valeurs spirituelles bien fondées

– une personne honnête, intègre, qui respecte sesa compatriotes et sa culture, ainsi que ses aînés et ses ancêtres

– un bon orateur, mais qui réalise ses promesses et tient ses paroles (beau-parleur s’abstenir)

– une personne qui n’a pas encore de sang sur les mains

– une personne qui saurait tenir tête aux étrangers et faire face à la pression

– une personne pour qui le mot « égoïsme » reste un mystère…

– une personne ouverte d’esprit mais dont le cerveau ne s’est pas encore enfui, profitant de cette ouverture

– Avoir du charisme et une « Tête-à-président »

Etc…

 

Missions:

– Assurer la bonne gouvernance, la stabilité politique, la transparence, le respect des Droits de l’Homme…

– Assurer une bonne relation avec les autres pays, sans pour autant accepter de devenir leur « outil »

– Veiller à ce que la loi soit respectée, à ce que tous les criminels soient jugés et condamnés justement par rapport à leur crime

– Assurer une bonne éducation, de bonnes conditions de travail pour les salariés, de bonnes conditions d’investissement pour les opérateurs, éradiquer le chômage, aider les mendiants à vivre dans des conditions moins précaires,

– Evite de se faire prendre au dépourvu par les « dahalo », les anciens politiciens, les politiciens et partenaires étrangers, et j’en passe…

Si vous correspondez au profil requis et si vous pouvez assurer toutes ces missions, envoyez-nous votre CV, lettre de motivation, des centaines de lettre de recommandation et tout autre document susceptible de soutenir votre candidature à l’adresse e-mail « etsionrecrutaitunpresidentpourmadagascar@ironie.com ».

Tourner en bourriques

jeunesse malagasy
Les Malagasy peuvent-ils encore espérer quelque chose des politiciens actuels? © Tiasy

Quoi qu’il en soit, ironie ou pas, la vérité ne peut être nié. Les dirigeants de ce pays, et ceux de la plupart des pays africains, ont colonisé leur propre pays et l’ont échangé pour bien peu. Mais le pire dans tout cela, c’est qu’après quelques années, les populations qu’ils ont eux-mêmes colonisés leur mangent dans la main, à nouveau. Et ça, les politiciens malagasy le savent. Il suffit juste que le Président actuel fasse une faute pire que ce que l’ancien a fait et on repart à la conquête du pouvoir.

Après 50 années à tourner en bourrique, les Malagasy continuent encore à élire et réélire les mêmes têtes qui les ont obligé à ramper. Et personne n’est là pour leur rappeler que ce n’est pas bon pour le pays. Ce n’est pas sain pour le pays! Malheureusement, les Malagasy, et les africains, en sont à un point où ils ont complètement perdu de vue ce qu’ils veulent. Nous avons perdu tous nos repères, et c’est bien la raison pour laquelle les politiciens, malagasy comme étrangers, font de nous ce qu’ils veulent. Quand on saura ce que l’on veut vraiment, on pourra peut-être se frayer un passage et avancer. En attendant, on peut toujours lancer des offres…

 


Antananarivo : à la découverte de la récitation des enfants mendiants

J’ai remarqué que depuis deux ou trois ans, une nouvelle pratique s’est installée dans la Capitale de Madagascar. Les enfants mendiants, qui n’auraient même pas osé s’approcher des transports publics auparavant, montent aujourd’hui dans les bus. Ils ne vous demandent pas sèchement de leur donner de l’argent, non ! Ils font des récitations.

La récitation dans les bus

Dans la Capitale de Madagascar, si auparavant les mendiants se contentaient de quémander dans les rues, cela ne leur suffit plus aujourd’hui. Les enfants mendiants ont adopté une nouvelle stratégie pour le moins drôle mais pas toujours plaisante : faire des récitations dans les bus. La première fois, cela a été un choc pour moi. Je venais de monter dans le bus, à 67 hectares – un quartier à l’Ouest du centre-ville. Il était environ 17 heures et le bus n’était pas encore plein. Il n’y avait pas d’autoradio. En revanche, une petite voix aiguë bizarre a commencé à faire une récitation. Je me suis retournée, et j’ai vu un garçon dont les habits étaient de couleur indéfinissable (entre le gris, le marron et le noir). Il était pieds nus, le capuchon sur la tête, les mains derrière le dos. Il faisait le va-et-vient entre la première et la dernière rangée du bus en récitant un texte. Parmi les paroles :

 

« Manao ahoana daholo ‘nareeeeeo                               (Bonjour à touuuuuuuuuuuus)

Za ‘zany dia hanao tsianjery kely ho anareeeeeeo        (Je vais faire une petite récitation pour

                                                                                                                  vouuuuuuuuuuuus)

Jaomampianina o Jaomampianina                                      (En allusion au Président de la

                                                                                               République Hery Rajaonarimampianina)

Ny vahoaka aty efa tsy mihinan-kanina                              (Le peuple ne mange plus)

Aza variana amin’ny Madame Voahangy                         (Ne soyez pas diverti par Madame

                                                                                         Voahangy (en allusion à la Première Dame)

Sao dia avy eo dia mampamangy […]                               (Vous pourriez tout perdre) […]

Sa ve ataoko amin’ny teny malagasy ?                             (Dois-je le formuler en malagasy?)

“Mba omeo vola aho azafady”                                          (“Donnez-moi de l’argent”)

Sa ve ataoko amin’ny teny faran’ny tsy hay(1)?              (Dois-je le formuler en français?)

“Donnez-moi de l’argent”…                                               (“Donnez-moi de l’argent”)

Sa ve ataoko amin’ny teny sinoa                                       (Dois-je le formuler en chinois?)

(Un truc genre di-din-don-di-din-don)(2)»                     (Un truc genre di-din-don-di-din-don) 

La récitation de la réalité

L’Akamasoa, village construit par le Père Pédro, accueille les personnes les plus démunies à Madagascar. Il compte actuellement plus de 25 000 habitants © Tiasy

Ce qui m’a le plus marqué, et qui a aussi marqué tous les voyageurs qui avaient écouté, ce fut entre autres les rimes de la récitation, qui n’étaient, il faut le dire, pas mal du tout. Mais surtout, ce fut les paroles et l’intelligence avec lesquelles l’enfant a exprimé les réalités à Madagascar. Des dirigeants égoïstes, une pauvreté croissante, une population qui vit dans la misère, et même une population multilingue. Car les malagasy, à part leur langue natale, parlent le français, l’anglais, le chinois, l’allemand, l’espagnol… des langues pas forcément toutes maîtrisées mais quand même utilisées. Le « vary amin’anana »(3) étant généralisé dans la vie quotidienne des malagasy. Ces récitations varient, et je l’ai remarqué, en fonction de la saison et de la période de l’année. Au mois de novembre 2016, les enfants mendiants y avaient intégré des lignes sur la Francophonie (4). Au mois de décembre, ils faisaient des récitations sur les difficultés des familles malagasy à fêter Noël, faute d’argent. Des récitations qui sont apprises par cœur. J’ai appris d’un ami que ces enfants apprennent ces récitations chez un tuteur qui se voue exclusivement à inventer et apprendre des récitations à ces mendiants.

Enfants mendiants : un véritable réseau

Ces enfants mendiants sont localisés un peu partout dans la Capitale. Vous ne pourrez pas les rater si vous prenez le bus, notamment ceux du centre-ville. C’est un véritable réseau ! Ils opèrent notamment quand les bus ne sont pas pleins. Ils montent, vous disent « bonjour » et commencent à réciter pendant environ une minute. Puis ils se taisent et tendent leur main en passant près de chaque voyageur. Si certains détournent leur regard et crachent par la fenêtre pour illustrer leur dégoût, d’autres leur donnent de l’argent et parfois, émettent leurs appréciations par rapport à la récitation. Parfois, les receveurs de bus les reconnaissent et leur demandent de descendre dès qu’ils montent le marchepied. Ce qui est un peu triste pour l’enfant… malheureusement, malgré la bonne – ou mauvaise – intention de ces enfants, les bus ne sont pas faits pour mendier. Et encore moins pour faire des récitations…

 

 

(1) « faran’ny tsy hay » : argot des malagasy pour dire « frantsay » qui signifie « français »
(2) Les mendiants parlent en chinois dans leur récitation mais je n’ai pas compris ce qu’ils disaient réellement. Ça ressemblait à « di-din-don »
(3)« vary amin’anana » : littéralement, c’est un plat typique malagasy qui mélange riz et « anana », sorte de salade malagasy utilisé pour les plats de résistance. Mais au sens figuré, parler « vary amin’anana » signifie mélanger des mots issus de langues différentes : malagasy, français, anglais, espagnol, etc
(4) Sommet de la Francophonie : le XVIème Sommet de la Francophonie a eu lieu en Novembre 2016 à Madagascar, dans la Capitale, à Antananarivo. Le Gouvernement a réorganisé la Capitale pour l’occasion. Les avis ont divergé, mais la majorité de la population a émis des critiques par rapport à la volonté du Gouvernement de réorganiser la Capitale durant la Francophonie mais aucune volonté pour lutter contre la pauvreté.


Madagascar : décolonisé sur le papier, mais pas dans la tête

Madagascar. 57 ans d’indépendance. Dignement fêté hier et ce jour, dans la joie et l’allégresse. Seulement, dans mon cher Madagascar, le rêve d’un monde meilleur continue. Des combattants malagasy ont obtenu leur indépendance après une lutte mortelle il y a de cela 57 ans. Mais actuellement, cela ne signifie plus grand-chose.

Les malagasy colonisés dans leur tête

Ça fait 57 ans. 57 ans que Madagascar a été proclamé officiellement comme « indépendant » ! D’accord, et qu’est-ce qui a changé depuis ? Il faut être réaliste : les malagasy sont décolonisés en théorie, mais dans la pratique, cela reste à prouver. Ma vision ici n’est pas celle de tout le monde. Je parle de ce que je vois et entends chaque jour dans les rues, dans les conversations des gens, aux informations. Nous aimons bien le « mihatsaravelatsihy »(1), c’est tout ce qui nous reste. Nous parlons d' »amour de la langue maternelle », mais déjà, un entretien d’embauche dans une boîte malagasy se fait en français. Pourquoi ? Je ne dis pas que la langue française n’est pas importante, seulement les Français dans les boîtes Françaises ne font pas leurs entretiens en anglais. Les gouvernements successifs n’ont jamais rien fait pour se débrouiller tout seul ! Ils ont toujours attendu l’aide des Partenaires techniques et financiers, les « subventions », prêts, dons et je-ne-sais-plus-quoi. Mais après, nous devons céder nos terres, nos ressources, etc. Nous ne sommes pas indépendants, nous descendons un peu plus profond chaque jour ! Des entités n’affichent même plus « Ariary »(2) quand ils exposent le prix de leurs services ! Ils mettent « Euros » ou « Dollars ». Et d’ailleurs, l’Ariary n’est pas la seule monnaie de change dans ce pays. Je n’invente pas ! J’ai vu plein d’affichages de prix de ce genre à Diego, il n’y a même pas un mois !

La vue du Rova Manjakamiadana de Betongolo, un quartier de la Capitale. © Tiasy

Zéro respect

Les malagasy n’éprouvent plus ce que l’on appelle « amour de la patrie » ou « respect des compatriotes ». Quand tu entres dans un bureau administratif, tu dois « payer » pour avoir un service, et c’est le Malagasy en face de toi même qui t’y oblige ! Mais il ne fera pas payer un étranger. Pourquoi ne pas mettre les deux sur un même pied d’égalité ? Je ne comprendrai jamais sur quoi nous sommes portés. Ou si, en fait : nous sommes portés sur l’argent, la vanité, la cupidité et la gloire. Mais pire, nous n’avons plus de respect envers les mêmes malagasy que nous, et encore moins envers notre pays. Triste réalité. Nous levons un drapeau déchiré et qui n’a pas été lavé pendant plusieurs siècles un mois avant le 26 juin (3), chaque année. Et encore, il faut se féliciter car au moins, on l’a levé, contrairement à 75% des habitants du quartier où on vit ! La majorité des malagasy ne connaissent pas par cœur l’hymne national, petits comme grands. Seulement, on ne l’a jamais dit tout haut. Heureusement, il y a toujours le playback qui passe lors des grandes cérémonies… seuls les vieux « combattants » qui ont vécu à l’époque de la colonisation savent encore ce que c’est que d’aimer son pays. D’ailleurs, lors d’une discussion avec d’anciens combattants de la grande bataille du 29 mars 1947, ces derniers m’ont dit qu’ils étaient tristes de la situation dans laquelle la population malagasy s’est-elle mise actuellement. Des dizaines de générations sacrifiées pour rien, pour assouvir les désirs des nouveaux colons qui sont principalement ceux de même nationalité que nous, mais aussi ceux de nationalités étrangères qui se sont alliés à ces derniers !

(1)« mihatsaravelatsihy » : mot malagasy qui signifie « être hypocrite ». Etymologiquement, « mihatsaravelatsihy » révèle au sens propre la position d’un « tsihy », sorte d’outil malagasy utilisé comme tapis, qui semble propre de l’extérieur mais qui couvre toutes les saletés d’une maison. Le « tsihy » est utilisé par le propriétaire de la maison pour  recouvrir les saletés quand un visiteur vient dans sa maison.
(2) Ariary : Ariary: la devise malagasy
(3) 26 juin: date de proclamation de l’Indépendance de Madagascar, en 1960.

 


Comment Boby Aina, une malagasy, aide des femmes à devenir autonome financièrement

Elle s’appelle Boby Aina. Une malagasy qui a pris l’initiative d’aider ses concitoyennes à sortir de la « prison financière » dans laquelle les enferment leurs conjoints. Pour cela, elle leur a proposé un travail original, créatif et déstressant.

Aide aux femmes victimes de violence conjugale

Boby Aina travaille dans une ONG qui prend en main les femmes malagasy victimes de violence conjugale. Mariées, ces femmes n’ont le droit de sortir de chez elle que pour faire le marché. Eventuellement, elles peuvent aller visiter la famille ou un proche, si leurs conjoints le leur permettent. Elles n’ont pas le droit de travailler ni de contribuer financièrement pour faire tourner le nid familial. Le mari s’occupe de tout. Il travaille, il sort de chez lui de bon matin et il ne rentre que tard dans la nuit. Il lui arrive de ne pas donner de l’argent à sa femme, sous prétexte que c’est lui qui « s’occupe de tout  dans cette maison ». Pour ces femmes, le nid conjugal est devenu une « prison financière ». D’où l’inspiration de Boby Aina de créer une entreprise qui aiderait ces femmes à s’épanouir financièrement sans obligatoirement avoir à « travailler comme tout le monde ».

Travail en freelance et incognito

Désireuse d’aider ces femmes, Boby Aina met en place une société de création d’articles en papiers recyclés : Poti-taratasy création. Le but est à la fois de protéger l’environnement et d’aider les femmes à s’épanouir. « Nous donnons le travail à ces femmes, elles l’emportent chez elles, et elles trient, déchirent  et cousent à leur rythme », continue Boby Aina. Leurs maris ignorent qu’elles font ce travail. Elles gagnent une somme pour réaliser leur petit plaisir à chaque fin du mois. En plus, le travail détend et n’impose pas de pression. En un jour, Poti-taratasy création produit ainsi trois articles fabriqués en papiers recyclés. Des produits réalisés par des femmes qui font le travail chez elles, entre le lavage du linge sale et le repassage.

On peut faire de jolies chose avec du papier recyclé! Les sacs en papiers recyclés produits par la société ressemblent à ceci. © Tiasy

Boby Aina, écologiste et féministe

Boby Aina a créé société originale. Le processus pour la réalisation de sacs, classeurs, bandoulières et trousses en papiers recyclés est assez inventif. « Notre matière première est le vieux papier : papier de magazines, de journaux… ce qui est facile à trouver. Mais c’est le traitement qui est difficile car il faut passer par plusieurs étapes », a expliqué Boby Aina. Jusqu’à 800 morceaux de papier sont utilisés pour réaliser un sac en papier. Les étapes comprennent le nettoyage du papier pour qu’il retrouve son état d’origine, le triage des couleurs, « déchiqueter les papiers en petits morceaux », la couture et la fixation du protège.